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roulant marier son fils l’empereur Théophile, alors âgé de douze ans, envoya des messagers, dans toutes ses provinces avec ordre de lui amener les plus belles filles de l’Asie et de l’Europe. Elle les réunit dans une des salles du palais, et, remettant à son fils une pomme d’or, elle lui dit : « À celle qui te plaira le plus, donne la pomme. » Il y avait parmi les concurrentes une jeune fille noble, d’une admirable beauté, nommée Icasie. Théophile, étonné de tant de charmes, un peu embarrassé sans doute pour entamer la conversation, s’avisa de lui dire : « Les femmes ont causé bien des maux. » À cette facétie de séminariste, elle répondit modestement : « Oui, mais elles sont la source de beaucoup de biens. » Il parait que le jeune sot lui trouva trop d’esprit. Décontenancé, irrité, il donna la pomme à une certaine Théodora, de la province de Paphlagonie. Ce pays passait pour la Béotie de l’Asie-Mineure. Le récit byzantin ne nous ramène-t-il pas en plein Orient, cette mère-patrie du pouvoir absolu ? N’est-ce pas là l’histoire d’Esther, choisie « entre mille beautés » par le roi de Perse Assuérus ? Et comme Byzance, depuis la chute de Rome, servait à son tour de modèle aux royautés nouvelles de l’Occident, nous voyons un roi des Francs, un fils de Charlemagne, prendre exemple sur les souverains de Persépolis et de Constantinople. Quand Louis le Débonnaire voulut contracter son second mariage, il fit comparaître devant lui, au dire de l’Astronome, les filles des grands de son empire, et après un examen attentif (undecumque adductas procerum filias inspiciens), donna la couronne à Judith de Bavière.

La Russie du XVe siècle subissait encore plus directement que la Gaule du IXe l’influence byzantine. La femme d’Ivan le Grand, Sophie Paléologue, était l’héritière de l’empire grec, de son droit de revendication contre les Turcs, de son aigle à deux têtes, qui devint celui de la Russie, de ses secrets de gouvernement et de son étiquette monarchique. Elle avait rempli le Kremlin de Grecs et de Gréco-Italiens : la littérature russe s’inspirait de la littérature byzantine quand elle ne se bornait pas à la traduire. Or parmi les livres slavons traduits du grec, une certaine Vie de Philarète le Charitable était très en faveur dans la société féminine et ecclésiastique de Moscou. D’après cette hagiographie, au VIIIe siècle, l’impératrice Irène, pour marier son fils Constantin, s’y prit exactement comme Euphrosine. Ses messagers parcoururent l’Anatolie, le Pont, la Bulgarie, la Khazarie, l’Italie, cherchant, comme dans nos contes de fées, celle qui était digne d’épouser leur prince. Philarète, malgré sa pauvreté, leur donna l’hospitalité ; le ciel, par un miracle, fit les frais du repas. Les envoyés furent bien plus surpris encore de voir l’admirable beauté de sa vieille épouse ; elle était grand’ mère, leur dit-on, et avait trois petites-filles, Ils révélèrent alors l’objet de leur