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du pouvoir, elle aurait été difficilement conciliable avec la monarchie par le seul fait qu’elle introduisait en Espagne le suffrage universel. C’était proclamer le principe de la souveraineté du peuple, et on conçoit malaisément la coexistence de deux souverains dans une nation. Un homme d’état peut aimer ou ne pas aimer le suffrage universel ; mais bien osé qui tenterait de le supprimer quand il est entré dans les mœurs, et bien habile qui l’empêchera de produire avec le temps son fruit naturel, qui est la république. Le seul genre de monarchie démocratique qu’on ait vu prospérer jusqu’aujourd’hui est le césarisme, c’est-à-dire la démocratie autoritaire, représentée par le régime personnel d’un homme qui, plébéien d’instinct, accepté par la nation pour son mandataire, chargé par elle du soin de ses destinées, dont il est seul responsable, s’appuie sur l’armée et sur la police pour accomplir sa mission, quitte à demander à un plébiscite la sanction de ses actes. La constitution de 1869 n’avait rien de commun avec le régime plébiscitaire, et personne n’a jamais moins ressemblé à un césar que le roi Amédée. Il n’a voulu régner ni par l’armée, ni par la faveur populaire ; il a subordonné docilement ses volontés à celles de son parlement ; il a toujours cru que son pouvoir devait se borner à promulguer les lois votées par les chambres, et à résoudre de son mieux les crises ministérielles. Il appliquait en Espagne les pratiques dont il avait admiré en Italie l’habile et heureux emploi, sans considérer que Madrid n’était pas Florence, et que la monarchie démocratique ne peut se régler par les mêmes principes que le régime constitutionnel. Les gens clairvoyans ne s’y étaient pas trompés ; ils avaient compris que, pour satisfaire tout le monde, les cortès avaient fait une œuvre contradictoire. Examinant tour à tour ce roi et cette constitution, ils avaient décidé qu’avant peu « ceci aurait tué cela. »

On a reproché au roi Amédée d’avoir eu des vertus intempestives et une loyauté inopportune. Il se disait : « Je serai un vrai souverain parlementaire, je choisirai toujours mes ministres dans le parti qui aura la majorité dans la chambre. » Il ne s’était pas avisé que ce rôle d’arbitre impartial entre les partis lui était interdit. Un roi porté au trône par la majorité d’une assemblée appartient à ceux qui l’ont nommé et qui le considèrent comme leur ouvrage, comme leur créature. Si Prim avait vécu, le roi d’Espagne serait resté dans la dépendance de Prim, et, s’il se fût lassé d’être souple, cette main de fer l’aurait brisé. Prim était mort, et les radicaux, ses héritiers naturels, pensaient lui avoir succédé dans ses droits de propriété sur le roi. Il était écrit dans le livre du destin que, le jour où il voudrait se reprendre, sa déchéance serait proche.

Les radicaux espagnols sont un parti intéressant à étudier. Ils