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Que ces reproches soient fondés ou non, une chose nous paraît certaine : ce n’est pas dans le caractère du roi Amédée qu’il faut chercher la vraie cause de son insuccès. Les difficultés avec lesquelles il s’est trouvé aux prises étaient telles que le prince le plus adroit, le plus énergique, le plus amoureux de son métier, le moins esclave de son indifférence ou de ses scrupules, aurait eu peine à les vaincre, et qu’il eût, selon toute apparence, succombé à sa tâche. Ce ne sont pas ses fautes, ni les Espagnols, qui l’ont perdu ; c’est la force des choses, qui sont toujours à la longue plus fortes que les hommes. Un mot de Lope de Vega pourrait servir d’épigraphe à cette histoire : « l’homme a beau se garder, ce qui doit arriver arrive toujours[1]. »

L’élu du 16 novembre avait d’abord contre lui d’être un étranger chez un peuple ombrageux, jaloux de sa dignité, qui n’a jamais admis qu’on s’ingérât dans ses affaires. Les Espagnols se souvenaient que jadis l’épée du grand capitaine avait répandu en Italie la terreur de leur nom, que Naples et le Milanais leur avaient appartenu, et qu’ils furent longtemps en possession de donner des gouverneurs et des ordres à ce pays de servitude séculaire, qui s’enhardissait aujourd’hui à leur donner un roi. Ce retour de fortune témoignait de vicissitudes déplaisantes à leur fierté. En vain, pour guérir cette blessure, les partisans de la nouvelle dynastie citaient-ils plusieurs pays qui avaient accepté sans répugnance un prince qu’ils n’avaient pas vu naître, et trouvé sous un sceptre importé la liberté et le bonheur. Ils invoquaient surtout l’exemple de la Belgique. On leur répondait que la Belgique est un peuple tout neuf, qui s’est donné un roi le jour même où il s’est émancipé. Ses souverains ont cet avantage que la nation voit en eux les représentans de son affranchissement, les témoins et le gage de sa liberté. Quelle garantie nouvelle apportait un prince italien à l’indépendance d’une nation qui s’appartient depuis des siècles ? Il ne pouvait sortir de son palais sans se heurter contre de glorieux souvenirs qui enflent le cœur castillan. Ce jeune prince sans passé était comme écrasé par le passé de ses sujets.

Le duc d’Aoste avait encore le malheur de devoir le trône à la bienveillance ou aux perplexités d’une assemblée qui l’avait nommé par 191 voix sur 311 votans. Plusieurs mois avant son avènement, des orateurs forts en logique avaient représenté aux cortès qu’un roi n’a d’autorité qu’autant qu’il a de prestige, que les peuples veulent trouver en lui quelque chose qui les dépasse, et qu’ils

  1. Siempre fué lo que ha de ser,
    Por mas que el hombre se guarde.
    Lo que ha de ser, 111, 10.)