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prétendait qu’il n’y aurait de restauration sérieuse de la monarchie que lorsqu’on aurait trouvé un prétendant qui consentît à s’ennuyer, attendu que les rois se sont perdus le jour où ils ont voulu s’amuser comme les gens qui ne le sont pas.

À beaucoup d’excellentes qualités, disent encore les Espagnols, le roi Amédée joignait un défaut grave : il n’aimait pas son métier, il le faisait à contre-cœur, il était roi malgré lui. Le respect scrupuleux qu’il témoignait pour l’institution parlementaire, la neutralité qu’il affectait de garder entre les partis, lui servaient de prétexte pour se retrancher dans l’inaction ; il faisait consister sa charge à ne rien faire. Ce grand détachement, qu’il érigeait en vertu, prouvait son indifférence. Il semblait dire aux chambres : « Vous voulez ceci ? Ainsi soit-il. Vous avez décidé cela ? Ainsi soit fait. » Il ne paraissait pas se douter qu’il eût une place à conquérir, une influence à exercer. Il a toujours dit qu’il ne voulait pas s’imposer ; qu’était-il donc venu faire à Madrid ? Se figurait-il que les 191 députés qui l’avaient nommé disposaient du cœur et du libre arbitre de 17 millions d’Espagnols ? Le projet de fonder une dynastie sans contrarier ni se gagner personne était une véritable absurdité. S’il lui était difficile de conquérir les bonnes grâces du clergé, ayant le tort d’être le fils de son père, et de se concilier les classes conservatrices, qui avaient placé ailleurs leurs affections, il aurait pu du moins s’attacher l’armée. Il a signalé son courage héréditaire par la témérité avec laquelle il bravait les complots et les menaces des assassins ; mais, sur la foi de conseils venus de Florence, il s’est refusé la satisfaction de conduire le soldat contre les carlistes. On lui avait persuadé qu’il y allait de son honneur de ne pas verser le sang de ses sujets, comme si le poète n’avait pas dit que le premier qui fut roi fut un soldat heureux, comme s’il y avait en Espagne un seul homme considérable qui n’ait pas sur lui quelques gouttes de sang espagnol. Dans son dernier message, il a exprimé le regret que la Péninsule n’ait pas été engagée sous son règne dans quelque guerre étrangère, parce qu’il eût saisi avec empressement cette occasion de montrer son épée, qu’il lui répugnait d’employer contre des rebelles. « C’était en user, a dit un ingénieux publiciste espagnol, M. Valera, comme ce médecin de Molière qui souhaitait à ses amis de bonnes pulmonies et de bonnes congestions cérébrales pour pouvoir déployer sa science en les guérissant. » Ne se faisant ni aimer, ni craindre, n’ayant pour lui ni les partis, ni la bourgeoisie, ni le peuple, ni les casernes, il a vécu en Espagne comme un étranger qui avait le mal du pays. On eût dit qu’il était venu à Madrid pour y faire en forme une expérience dont il devait être la victime, et qu’il bornait son ambition à mourir dans toutes les règles.