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femelles une aptitude à discerner ce qui est digne d’être admiré et une faculté de choisir en conséquence de cette admiration.

Mâles et femelles ont donc des caractères et des facultés mentales qui s’appellent et se répondent. Il y a choix des uns par les autres. Ce choix, c’est la sélection sexuelle. Les effets en sont considérables. L’homme, on le sait, améliore la race de ses coqs de combat par la sélection de ceux qui sont victorieux dans l’arène. De même les mâles les plus forts, les plus belliqueux ou les plus habiles dans l’art pacifique de la séduction ont prévalu dans la nature, et par eux s’est perfectionnée la race naturelle. Leurs avantages, quoique légers au commencement, se sont transmis et accrus par l’hérédité, épurés par les éliminations meurtrières de la rivalité. Il s’en est suivi des degrés croissans de variabilité qui ont peu à peu consommé l’œuvre de la sélection sexuelle en suscitant non-seulement des races plus belles, mais encore des races nouvelles. À ce résultat magnifique, les femelles ont contribué dans une égale proportion, car, guidées par leur exquise sensibilité, elles ont longtemps choisi, trié les mâles les plus riches en qualités attrayantes, et ont constamment ajouté à leur beauté. Les deux sexes devaient donc avoir, et, quelque surprenante que paraisse cette affirmation, ils ont réellement la faculté esthétique : les mâles, pour être consciens de leur propre beauté et la faire rayonner à volonté aux yeux éblouis de leurs admiratrices, — celles-ci pour sentir cette beauté, la reconnaître, la choisir et la léguer aux générations futures.

On comprend maintenant quelle logique irrésistible a poussé l’auteur de l’Origine des espèces à élargir si étonnamment sa première conception. On voit par quelle pente il est arrivé à faire du transformisme une question de psychologie comparée, et enfin comment dans cette psychologie l’esthétique a prédominé. Les faits, qu’il connaît mieux que personne, semblent lui donner raison. Notre devoir est donc de les exposer d’après lui-même, non pas tous, mais les plus frappans. On reproduira ici loyalement ceux qui militent le plus en faveur de sa théorie, sauf à peser ensuite l’interprétation qu’il en a fournie.

Au plus bas degré de l’échelle zoologique, la science ne constate ni sélection sexuelle, ni facultés esthétiques. Dans les classes inférieures d’animaux, les deux sexes, souvent réunis sur le même individu, ne sauraient évidemment produire et développer en eux-mêmes des caractères distinctifs. D’autres fois les sexes sont séparés, mais les animaux, étant fixés d’une façon permanente à certains supports, sont incapables soit de se chercher, sont de lutter contre des rivaux. Il est d’ailleurs reconnu que ces êtres imparfaits ont des