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est fait de notre prétendant ! Et Dieu veuille que ce soit tout[1] ! »

La candidature du prince Léopold avait assez vécu pour embraser l’Europe ; elle disparut comme disparaît l’éclair dans l’incendie qu’il allume. L’Espagne se trouvait de nouveau sans roi ; mais Napoléon III n’étant plus empereur, le roi d’Italie se voyait libre de ne consulter que ses propres intérêts en acceptant la couronne d’Espagne offerte à son fils Amédée, duc d’Aoste. Les propositions de don Juan Prim avaient été reçues sans enthousiasme en Italie ; les politiques de Florence étaient trop avisés pour méconnaître les difficultés et les mauvaises chances qui attendaient leur prince à Madrid. La raison d’état parla, les objections se turent. On se disposait à occuper Rome, et on ne désespérait pas d’obtenir l’acquiescement résigné du saint-père à sa destinée en le convainquant de l’impossibilité de tout recours auprès des gouvernemens catholiques. Quel appel pouvait-il rêver, si on lui montrait l’Autriche neutralisée par l’ascendant de la Prusse victorieuse, la France pour longtemps impuissante, et sur le trône d’Espagne un roi qui n’oublierait jamais quel sang coulait dans ses veines ? L’intérêt italien fut seul consulté, et prévalut sur les inquiétudes d’une judicieuse prévoyance.

Le 16 novembre 1870 fut une grande journée à Madrid. La ville était agitée, on respirait dans l’air la fièvre d’un événement. Les prophètes de malheur semaient des bruits et des alarmes ; à tout hasard, les ministres avaient pris quelques dispositions militaires. Calme, souriant, le général Prim assurait que tout se passerait bien ; il tenait enfin son roi, il avait l’air d’un homme qui a fait un pacte avec la destinée, et qui a reçu d’elle une signature en bonne forme. Les cortès se rassemblèrent ; malgré tous les incidens soulevés par les républicains pour retarder le vote, le scrutin rendit son arrêt, et proclama roi d’Espagne le duc d’Aoste par 191 voix, contre 63 données à la république, 27 au duc de Montpensier, 1 à la duchesse, 8 au duc de la Victoire, 2 au prince Alphonse de Bourbon et 19 bulletins blancs. Le même jour, une commission fut nommée pour se rendre à Florence sous la conduite du président de la chambre, M. Ruiz Zorrilla, et en ramener le roi du général Prim. Celui-ci fut accosté au sortir de la séance par un républicain ergoteur qui lui demanda en vertu de quel article le président et les secrétaires se croyaient autorisés à quitter Madrid. « Ne vous semble-t-il pas, général ? .. — Il me semble qu’il se fait tard, répondit-il tranquillement. Allons-nous discuter encore ? N’avez-vous pas assez de huit heures de séance ? Vous n’êtes donc jamais content ? Bonsoir, mon

  1. Voyez Memorias de un constituyente, par M. Victor Balaguer, p. 151 et 152.