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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 septembre 1873.

Au milieu d’une paix profonde s’accomplit un de ces événemens qu’on ne peut célébrer par des fêtes et des illuminations comme on célèbre les victoires, mais qu’une nation fière doit ressentir avec la sérieuse et patriotique émotion de la délivrance. À l’heure qu’il est, le dernier soldat allemand a quitté Verdun, demain il ne foulera plus le sol français. Le général de Manteuffel lui-même a donné le signal de la retraite en levant son camp et en partant pour Berlin. C’est la fin de l’occupation étrangère ; la France est libre, et pour la première fois depuis longtemps elle peut respirer à l’aise, non cependant sans se souvenir qu’elle a payé cher cette indépendance reconquise, et qu’elle ne retrouve pas tout entière sa liberté. Il y a trois ans et deux mois maintenant que s’allumait cette guerre néfaste destinée à pousser notre pays de désastre en désastre jusqu’à cette extrémité douloureuse où une nation n’a plus qu’à se soumettre à l’implacable fatalité. Il y a deux ans et demi, trente mois et pas plus, qu’était signée à Versailles cette paix aussi nécessaire que cruelle, qui laissait la France atteinte dans son intégrité nationale par la perte de deux provinces, accablée sous le poids d’une indemnité de cinq milliards, soumise à une occupation temporaire en garantie des engagemens qu’on venait de contracter en son nom, et ce n’était pas tout encore. Au lendemain de cette paix, une effroyable guerre civile ajoutait aux épreuves de la guerre étrangère, comme pour mettre le comble à tant de malheurs en faisant désespérer de notre patrie, en rendant notre chute peut-être irréparable. Avoir l’étranger dans plus de trente départemens, une insurrection victorieuse dans Paris, le désordre et le découragement dans les provinces, une administration publique dans la confusion, toutes les ressources nationales paralysées et une indemnité de cinq milliards à payer, c’était là en vérité la situation au mois de mars 1871. Ces trente mois qui viennent de s’écouler ont suffi non pas pour guérir toutes les blessures et réparer toutes les ruines sans doute, mais du moins pour que ce pays si énergique et si souple