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son système. Quant à ses adversaires, — je ne parle que de ceux qui étudient au lieu de s’irriter, — leur nombre est plus considérable et leur science plus forte qu’on ne le croit. On s’est trompé sur leur puissance réelle parce que jusqu’à présent leurs argumens étaient épars çà et là, accidentellement invoqués dans des traités scientifiques ou dans des morceaux de polémique qui ne visaient pas droit au nœud de la difficulté. Un jeune psychologue, M. Henri Joly, a rassemblé, complété à beaucoup d’égards et coordonné sous une forme méthodique les faits abondans qui semblent déceler entre l’instinct de l’animal et l’entendement de l’homme non pas seulement de simples degrés d’évolution, mais des différences profondes. Le livre intitulé l’Instinct, ses rapports avec la vie et l'intelligenceest habilement composé, plein d’analyses fines et de vues qui ne manquent pas de nouveauté. Quoique l’examen du transformisme n’y occupe que peu de pages, au fond cet ouvrage se trouve être une réponse au darwinisme psychologique. Les pièces essentielles du procès sont donc réunies, et dès à présent on peut chercher ce qu’a produit cette rencontre nouvelle où savans et philosophes ont lutté après s’être mutuellement emprunté leurs armes. Pour le trouver, il suffira de concentrer l’attention sur l’idée dominante du savant anglais et d’examiner si l’animal, comme le soutient M. Darwin, porte en lui-même le germe complet de la faculté esthétique. A l’entendre et malgré l’énormité de la distance apparente, le plaisir qu’éprouve une poule à voir le riche plumage de son coq et la noble jouissance que nous goûtons devant la Vénus de Milo ne sont que deux degrés extrêmes d’une même puissance esthétique transmise et lentement amplifiée par le travail mille et mille fois séculaire de l’évolution ; bien plus, c’est la faculté esthétique de l’animal qui, par un éclectisme conscient et merveilleux, recueille dans les espèces inférieures et réunit peu à peu toutes les perfections dont l’ensemble composera finalement la supériorité éminente de la nature humaine. Ces propositions sont-elles aussi vraies que nouvelles, aussi certaines qu’inattendues ? Si l’illustre savant a raison ou tort à l’égard de ce prodigieux transformisme, il aura également tort ou raison en ce qui touche l’évolution toute pareille de la faculté morale léguée par l’animal à l’homme. Pour le savoir, nous nous bornerons à examiner ici comment M. Ch. Darwin en est venu à donner une telle importance au point de vue esthétique, — quels sont les faits qui d’après lui attestent la présence de la faculté du beau chez la bête, — si ces faits ont été exactement interprétés, — enfin si l’animal, ramené à sa juste mesure intellectuelle, peut être légitimement regardé comme l’ancêtre de l’homme raisonnable.