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goût du cru : le socialiste allemand cite Linné, Cuvier, Humboldt, Lamarck, Lyell, Darwin; il semble aussi qu’il s’enfonce plus avant dans le matérialisme et s’y complaise mieux. Il ne cache point la pensée qui dirige cette croisade contre les croyances de l’humanité. Détruire dans l’esprit du peuple toute idée de l’immatériel et toute espérance en la vie future, c’est rendre plus enviables à ses yeux les jouissances de la vie présente et plus odieux les privilégiés qui volent aux pauvres gens leur part de bonheur. La haine du bourgeois est inséparable de la haine du Dieu qu’on l’accuse d’avoir inventé. Les journaux du parti exploitent les scandales financiers qui déshonorent le « royaume de la crainte du Seigneur, » comme ils disent en parodiant le langage hypocrite des piétistes. Tout crime commis par un bourgeois a les honneurs du fait divers. Des romans et des nouvelles peignent sous les plus tristes couleurs les mœurs de la haute société, et l’on trouve parfois des morceaux déclamatoires, tels que celui-ci, qu’il faut citer comme antithèse à l’idylle des porcelainier :


« Quels sont ces hommes aux muscles de fer, et au maigre visage, qui travaillent, aux feux des fourneaux, à fondre le fer? qui dans la poussière et le bruit des sombres fabriques dirigent mille machines et dont la main produit les merveilles de l’industrie? Quels sont ces hommes qui, par le froid et le chaud, sous le soleil et la pluie, bâtissent les palais, ou qui poussent péniblement la charrue dans les champs, pour arracher à la terre ses présens ?

« Demandez au frivole gandin, à l’orgueilleux hobereau, à tous ceux qui vivent et font bombance dans les palais en mangeant le travail des autres ! Ils vous le diront !

« Ils diront : « C’est la canaille ! »

« Quelle est cette femme qui, dans une misérable hutte, se consume de douleur près du cadavre de son mari, tué au service du capital? Quels sont ces enfans qui, affamés et grelottans, courent dès l’aube vers la noire prison dont la cheminée fume ? Quelles sont ces filles qui errent sans foyer, désespérées, un enfant au sein, rejetées de la société humaine, ou qui ont déjà bu toute honte, et, couvertes de soie ou de velours, le cœur vide et le corps malade, vont çà et là par les rues des villes sous l’œil de la police ?

« Demandez aux exploiteurs de femmes et d’enfans, demandez aux séducteurs; ils ne vous feront pas attendre longtemps !

« Ils diront : « C’est la canaille ! »


Le rédacteur du Nouveau Démocrate socialiste continue longtemps sur ce ton passionné. Il demande au joyeux vivant, au bas-bleu sentimental, comment ils appellent ces misérables auxquels ils jettent une maigre aumône par charité ou « pour résoudre la question sociale? » Ils lui répondent : C’est la canaille. « Si la presse libérale,