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où l’on reconnaît les couleurs dont on peignait jadis la vie de l’atelier. Elle a du moins le mérite d’avoir été écrite par un ouvrier, et prouve, comme beaucoup d’autres passages du journal d’où elle est tirée, que de vieilles traditions et une bonne volonté réciproque maintiennent l’harmonie dans les manufactures de porcelaine. Aucune grève n’a encore troublé cette industrie; les patrons n’hésitent point à tendre au travailleur une main qu’ils sont sûrs de ne pas voir repoussée, et le Parloir leur rend cette justice, que « librement, sans pression extérieure, ils ont remédié, en élevant les salaires, à la gêne produite par le renchérissement de toutes choses. » C’est une situation exceptionnelle, et nous ne trouvons pas dans toute l’Allemagne deux journaux comme celui des porcelainiers.

Le Correspondant, journal des ouvriers chapeliers, est en lutte perpétuelle avec le Journal des Chapeliers, organe des patrons. Il pousse à la coalition et à la grève. L’échec de certaines grèves lui donne bien à réfléchir, mais pour le mener à cette conclusion qu’il faut engager la lutte à bon escient, après s’y être longtemps préparé, à moins qu’un acte, de brutalité n’oblige l’ouvrier à déclarer la guerre, coûte que coûte, « pour prouver qu’il a conscience de sa dignité. » Quand les patrons, fatigués de cette attitude provocante, s’entendent pour déclarer qu’ils excluront à l’avenir de leurs ateliers les membres de l’association, le Correspondant se récrie sur « cet acte d’une absurdité révoltante, » sur cet orgueil et cette tyrannie. A chaque page déborde la passion. Si encore un pareil langage ne trahissait qu’un violent antagonisme entre des intérêts qu’on pût espérer de concilier un jour! mais on ne voit guère sur quel terrain l’entente serait établie. Il ne suffit pas de dire qu’on n’a « rien de commun avec les démocrates socialistes, ni avec l’Internationale, » et qu’on veut uniquement par « un combat sans pitié » affranchir le travail du Moloch qui l’exploite, c’est-à-dire du capital; quand, au lieu d’un programme raisonné, on ne montre que de vagues aspirations et des exigences dont la partie adverse n’entrevoit pas le terme, on ne peut attendre de celle-ci que la résistance. Alors on s’irrite et l’on menace. Après avoir décliné toute immixtion dans la politique, on en vient à déclarer que « la politique pourrait bien venir en aide au travailleur; » après avoir choisi pour devise : aide-toi, on s’en prend à l’état des souffrances de la classe ouvrière; après s’être dit prêt à examiner les divers moyens de conciliation, on rejette avec dédain ceux qui sont offerts, comme le projet d’instituer des tribunaux d’arbitrage dont les arrêts auraient force exécutoire. « Ce serait, dit le journal, une baïonnette dirigée contre la poitrine de chaque ouvrier! » Voilà donc une association engagée contre ses patrons dans un conflit sans issue.