Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exceptions près, elles ne rencontrent que la défiance et la haine. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire avec des yeux non prévenus les journaux des deux catégories.


I.

Si toutes les feuilles socialistes ressemblaient au Parloir, organe des ouvriers en porcelaine, il n’y aurait pas, même en Allemagne, de question sociale, car ce journal professe la doctrine que l’ouvrier doit s’aider lui-même, et que l’éducation du caractère, « l’exercice des forces intellectuelles et l’acquisition de connaissances utiles sont les plus sûrs moyens qu’il possède d’amender son sort. » Il réclame la fondation d’une école d’apprentissage pour mettre l’ouvrier en état d’améliorer ses produits et de lutter contre la concurrence étrangère. Il espère l’appui des patrons, et, si l’on trouve parfois l’expression d’une certaine méfiance à l’égard de ceux-ci, le plus souvent il est fait appel au sentiment du devoir que leur imposent « leur fortune et leur instruction plus étendue. » Sans doute le Parloir ne regarde pas comme parfaite l’organisation de la société : l’association qu’il représente cherche la réforme des rapports de l’ouvrier et du patron; elle a, comme les autres, sa caisse des grèves, c’est-à-dire ses armes, au moins ne les montre-t-elle pas à tout propos et n’est-elle point provocante. Son journal recommande sans cesse au travailleur la modération dans ses désirs et l’amour de son art. Un jour par exemple, le Parloir met en scène un tourneur qui, derrière sa vitre tachée de pâte, regarde dans la cour enfumée de la fabrique. « Tourne! tourne! » crie-t-on autour de lui; mais ses yeux rencontrent le rosier qui fleurit contre le mur noir, et par-dessus le vieux bâtiment il voit le ciel bleu où glisse l’hirondelle. Il pense alors aux riches, à tous ceux qui se reposent dans les jardins-concerts ou voyagent vers les Alpes et les villes de bains. Lui aussi voudrait bien voyager, au moins faire une partie de deux jours sur terre ou sur l’eau; mais il examine son budget, et le résultat se devine : point de partie ! Pourtant il ne récrimine pas contre la société : au sort des agioteurs de Berlin, il préfère encore le sien; c’est bien quelque chose que d’être un ouvrier habile et honnête. Que les banquiers aillent donc aux jours chauds de l’été éblouir de leur luxe le public des bains à la mode ! Il y a dans le voisinage, à une lieue de la fabrique, au bout de la plaine sablonneuse, des arbres verts et de l’eau fraîche; dans le bois de pins, la fraise croît, les oiseaux chantent, l’écureuil bondit : c’est plus qu’il ne faut pour amuser les enfans! Il ira au bois avec les siens. De quoi se plaindrait-il, puisqu’il a le repos, la paix et l’amour? Et le porcelainier satisfait quitte sa vitre pour se remettre à tourner. C’est une véritable idylle