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monarchiques conservateurs, progressistes ou radicaux, la Péninsule n’acceptera jamais ni pour son libérateur, ni pour son maître, ce revenant qui la menace du haut des montagnes de la Navarre et de la Biscaye, et qui, embarrassé de son métier de mort, se cache le visage pour n’être reconnu qu’à moitié. Tout a conspiré en sa faveur : des insensés et des scélérats travaillaient pour lui à Carthagène et à Cadix ; il a pour alliés les Masaniello à la douzaine, les assassins d’Alcoy, les rançonneurs de Grenade et d’Almeria. Son irréparable impuissance explique seule qu’il n’ait pas encore vaincu. Il est à ce point étranger dans son pays qu’il est obligé d’y chercher son chemin à tâtons ; tout ce qu’il voit lui rappelle que l’exil est sa patrie. Si jamais il entre à Madrid, à peine aura-t-il découvert son visage et parlé la langue des morts, la terre s’ouvrira sous ses pieds, l’Espagne sera unanime pour le renvoyer dans le royaume des ombres.

Le 19 juillet dernier, le ministre de l’intérieur lut au congrès une dépêche qui rapportait un grand acte de dévoûment héroïque. Dans la petite ville d’Estella, pressée vivement par les carlistes et qui leur résistait depuis quarante-huit heures, un volontaire avait sollicité et obtenu l’honneur de s’enfermer seul dans la poudrière, n’attendant qu’un signal de son capitaine pour la faire sauter. « À la lecture de cette dépêche, s’est écriée une voix éloquente et peu républicaine que l’Espagne n’avait pas entendue depuis longtemps, j’ai senti le cœur me bondir, et je me suis dit que l’Espagne de 1873 est encore l’Espagne de 1834 et de 1837. Oui, messieurs, a poursuivi M. Rios Rosas, j’ai acquis la profonde conviction que le troisième prétendant sera confondu dans son impuissance comme le furent ses devanciers. Notre pauvre pays a beaucoup souffert ; il peut tout souffrir, même l’anarchie. Ce qu’il ne supportera jamais, c’est le despotisme de don Carlos et de ses descendans, c’est la théocratie, c’est l’inquisition. Il faut le dire bien haut pour que la nation et l’Europe entière le sachent : jamais, jamais nous ne subirons le joug de don Carlos et des satellites de l’antique tyrannie. Tout nous est possible, moins cela. »

L’Espagne le sait ; puisse l’Europe le savoir aussi, afin que les gouvernemens ne se laissent point abuser par quelques rêveurs d’interventions et de restaurations chimériques ! Il est aussi malaisé de rétablir en Espagne le gouvernement du prêtre que de convertir à jamais la France au culte du sacré cœur de Jésus.