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comme des clous d’or dans une tapisserie. Le héros macédonien toucha du doigt cette voûte splendide. Quand il l’eut examinée à loisir, il tint sa perche baissée, et les griffons, pour saisir la viande comme ils l’avaient fait en montant, redescendirent à tire-d’aile vers la terre. Les personnages les plus illustres de l’antiquité subissent tous la même dégradation. Virgile est transformé en une espèce de bohème qui devient amoureux de la fille d’un boulanger de Caen. Celle-ci lui donne rendez-vous dans sa chambre et le fait placer pendant la nuit dans le panier qui sert à monter extérieurement les farines. Quand le panier est arrivé à la hauteur du premier étage, elle en fixe la corde, et le poète jusqu’au lendemain reste suspendu sur sa route aérienne, en butte aux railleries des bourgeois, tout étonnés de trouver dans une situation pareille l’homme qu’ils avaient pris pour l’un des sept sages de la Grèce.

La littérature chevaleresque était née avec la féodalité; elle disparut avec elle. Malgré l’imperfection de la langue, l’absence de goût et de mesure, l’absurdité de certaines inventions, la perpétuelle répétition des mêmes faits, cette littérature offre çà et là de réelles beautés. Il en sort un souffle parfois puissant; on y rencontre en bien des pages des traits saillans de vérité pittoresque, de grandes pensées et de grandes images. Cependant des centaines de mille vers consacrés aux exploits de Charlemagne, de Roland, d’Arthur, des douze pairs, des neuf preux, des Amadis et des quatre fils Aymon, il n’est rien entré dans la formation définitive de la poésie française, et il devait en être ainsi, car la littérature chevaleresque n’avait aucune racine dans le monde réel.


II. — LES ROMANS D’AVENTURES.

A côté des romans en vers, où se résume dans sa plus haute expression l’idéalisme du moyen âge, nous rencontrons les romans d’aventures, qui se rapprochent par certains côtés de ces poèmes et par d’autres de nos romans modernes. Tout en faisant encore une large part à la fiction, ils s’inspirent en bien des points de l’observation de la vie réelle et de l’analyse des sentimens et des passions. Tels sont entre autres les romans de Flamenca[1], de Cristal et Larie, d’Amadis et d’Idoine, que l’auteur place parmi les merveilles du monde, parce qu’elle est bonne, fidèle et discrète, — de la Violette, du Roi Flore et de la Belle Jeanne, qui a fourni à Shakspeare le type de Cymbeline, — du Petit Jehan de Saintré et de la Dame des belles cousines, — du Très chevalereux comte d’Artois, — d’Amis et d’Amiles.

  1. Le roman provençal de Flamenca, l’an des plus ingénieux que nous ait légués le moyen âge, a été publié par M. Paul Meyer, 1 vol. in-8o; Paris 1865.