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et savantes études de Raynouard sur la littérature de la langue d’oc et cette brillante civilisation du midi qui a donné dans l’espace de deux siècles plus de trois cent cinquante poètes.

Les chansons de geste[1], que l’on désigne aussi sous le nom de poèmes ou romans chevaleresques, tiennent le premier rang dans l’histoire littéraire du moyen âge. Nés des chants populaires et enfermés d’abord dans un cadre fort étroit, ces poèmes ont été sans cesse en se développant. De nouveaux récits sont venus s’ajouter aux récits primitifs; ils ont formé des branches, parce qu’ils étaient comme des rameaux greffés sur le même tronc, et ces branches elles-mêmes ont formé des cycles, parce qu’elles embrassaient comme dans un cercle les événemens d’une même période ou la vie d’un même personnage, autour duquel venaient se grouper tous ceux qui, de près ou de loin, s’étaient associés à sa fortune, et des héros imaginaires créés par la fantaisie des conteurs. Nous avons eu ainsi les cycles de Charlemagne, — des croisades, — de la Table-Ronde et de l’antiquité, auxquels il faut ajouter quelques poèmes relatifs à l’histoire particulière des fiefs et des provinces, tels que Hervis de Metz et Garin le Lohérain.

Le cycle de Charlemagne, le plus ancien et le plus nombreux de tous, comprend non-seulement la jeunesse de ce grand homme, ses guerres, ses voyages et sa mort, mais même sa résurrection[2]. Il se subdivise en une quarantaine de branches, qui donnent plusieurs centaines de mille vers, et dans lesquelles figurent Roland, Aspremont, Ogier le Danois, les douze pairs, Fierabras, Gérard de Roussillon. Gui de Nanteuil, Berthe aux grands pieds, Huon de Bordeaux, Renaud de Montauban, Jean de Lanson, Désier, Yon de Gascogne. Les romans de cette série sont avant tout une glorification de la grande féodalité, telle qu’elle s’était constituée sous les premiers Capétiens.

Le cycle de la Table-Ronde appartient par la donnée première à l’histoire d’Angleterre; il a pour principal héros Arthus, penteyrn ou chef des Bretons insulaires, qui lutta avec un grand courage contre les invasions saxonnes. Après avoir fait subir aux étrangers de sanglantes défaites, il fut tué vers 542, sans que l’on ait jamais pu retrouver son corps. Une partie de ses sujets abandonnèrent leur pays plutôt que de se soumettre au joug de la conquête. Ils vinrent se fixer dans l’Armorique, et pendant de longues années ils atten-

  1. Le mot de geste est pris ici dans le sens de faits, d’actions (gesta). On disait la geste du roi, comme on dirait aujourd’hui les actions du roi.
  2. Voyez M. Gaston Paris, histoire poétique de Charlemagne, Paris 1865; 1 vol. in-8o. La collection du cycle de Charlemagne a été commencée en 1859; elle devait former quarante volumes publiés sous les auspices du ministère de l’instruction publique.