Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’érudition ; tout cela ne sera pas la culture. Ils fonderont des institutions d’enseignement technique, réel, commercial, industriel, philologique. Tout cela ce sera des écoles, ce ne sera pas ce qui s’appelle par excellence : l’école.

Si l’on nous demandait à quoi servent les humanités, nous répondrions sans embarras : à rien. À ne considérer que l’utilité pure, on flatte encore les humanités et on les surfait lorsqu’on les accuse de n’être propres qu’à fabriquer des écrivains et des orateurs. Elles ne sont pas même propres ni nécessaires à cette fabrication spéciale. D’Hérodote à Périclès, les Grecs ont atteint le point de perfection dans l’art d’écrire et de parler, et certes ils n’avaient pas fait leurs études. Il ne chôme pas d’autre part sous nos yeux d’humanistes et de lettrés fort distingués qui ne seront jamais capables de composer un ouvrage, encore moins de devenir orateurs ; mais alors, direz-vous, qu’ai-je besoin des humanités et des lettres pour m’établir en ce monde et m’y pousser en quelque carrière que ce soit ? Vous n’en avez aucun besoin. Vous n’avez pas non plus rigoureusement besoin pour cet objet de n’être pas difforme. On voit tous les jours des bossus ou des cagneux, qui sont éminens dans la profession qu’ils ont embrassée, et qui y forcent la fortune. Le beau n’en reste pas moins le beau. La beauté, qui n’est pas une faculté utile comme la force, la santé et l’intelligence, la beauté n’en garde pas moins son prix et son pouvoir. Là est le vrai nœud de la question qui nous occupe. Y a-t-il une beauté morale ? a-t-elle du prix par elle-même ? Doit-elle être, peut-elle être le fondement et la fin de l’éducation, supposée parfaite ? Aristote a remarqué le double rôle que jouent dans notre existence, selon les âges, le beau et l’utile. Dans la vieillesse, nous sommes enclins à préférer l’utile au beau, parce que le beau n’est bon qu’en soi, tandis que l’utile est bon pour nous-mêmes. L’homme fait, s’il est bien équilibré, goûte le beau sans oublier l’utile. La jeunesse méprise l’utile, parce qu’elle ne connaît rien des exigences de la vie ; elle n’aime, elle ne cherche que le beau. Il s’agit de savoir s’il est expédient à la société que, de ces deux élémens de la vie humaine, l’éducation publique supprime précisément le plus noble, et s’il est salutaire à l’état que tous les individus d’un même pays soient formés indistinctement, dès le premier âge, pour et par l’utile, c’est-à-dire pour et par un métier. Il s’agit de savoir ce que deviendraient chez un peuple la civilisation et la vertu elle-même, s’il ne s’y trouvait pas une classe d’hommes suffisamment nombreuse qui fût élevée de bonne heure comme si elle devait toujours avoir pour profession unique la garde de la civilisation et le culte de la vertu. Nous avons dit que les humanités ne tendent à aucun objet déterminé ;