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pathies et à ses superstitions ; elle a pratiqué trop souvent une politique de fantaisie, à laquelle ses nerfs de femme communiquaient leurs fougues et leurs impatiences. Il n’est permis qu’aux forts de céder ; elle n’a jamais cédé que lorsqu’elle était faible. Le pays devenait-il menaçant, elle recourait en hâte aux libéraux pour conjurer la tempête, après quoi on se précipitait tête baissée dans une réaction à outrance. Le désarroi dans la conduite mène aux abîmes. En 1854, l’Espagne sentait comme une impossibilité de vivre ; abandonnée de tous ses défenseurs, la royauté faillit sombrer dans un naufrage. La leçon lui profita ; mais les femmes oublient si vite ce qui déplaît à leur mémoire !

On raconte qu’en 1866 l’un des membres du ministère libéral qui le 22 juin avait étouffé dans le sang la plus formidable des insurrections militaires, rencontrant au Buen-Retiro un favori, lui dit : « Vous conspirez contre nous, et avant peu de jours vous serez conlens ; mais avant deux ans vous aurez renversé le trône. » La prédiction s’est accomplie. Le 10 juillet, le général O’Donnell n’était plus ministre, et ses successeurs sommaient l’Espagne de se rendre à discrétion. La déportation décrétée contre les hommes qui venaient d’exposer leur vie pour sauver la couronne, tous les principes de l’état suspendus ou violés, l’intolérance religieuse et l’arbitraire ouvertement professés, une loi de la presse qui, combinant la répression avec la prévention, déclarait délictueux des articles que la censure n’avait pas laissés paraître et passible de peine un délit qui n’avait pas été commis, une loi de l’ordre public promulguée dictatoralement, laquelle autorisait les gouverneurs et les maires à expulser pendant quarante jours du lieu de leur habitation toutes les personnes jugées dangereuses, qu’aurait pu inventer de mieux le roi absolu ? « Un pays à qui on enlève tous les genres de liberté, s’écriait en vain M.  Alejandro Llorente, est un pays qui a cessé d’appartenir à la grande famille ce l’Europe occidentale. Il nous restait une certaine dose de liberté civile et un régime électoral qui, bien que défectueux, nous assurait un certain degré de liberté parlementaire. Qu’a-t-on fait de la liberté civile ? La liberté parlementaire est sur le point de disparaître. Que reste-t-il donc ? » Il restait le droit à l’insurrection, qui se justifie par l’anéantissement des autres, et l’implacable vengeance des principes toujours funestes aux gouvernemens qui les renient.

L’histoire sera sévère pour Isabelle II, mais l’histoire ne sera point injuste, et reconnaîtra que, malgré ses fautes et ses entraînemens, elle a eu la gloire d’attacher son nom à une époque décisive dans les destinées de l’Espagne. Ce n’est pas seulement une capitale embellie qui témoigne en sa faveur, ni le canal du Lozoya,