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vesti du gouvernement de Salonique. « Les vieillards turcs, nous dit le capitaine Deloffre, les autorités locales et les janissaires virent avec répugnance arriver dans leur ville cet Albanais qui ne marchait qu’entouré de soldats chrétiens. » Ennemi personnel du capitan-pacha, Omer-Vrioni n’avait pas jugé inutile à sa sécurité cette escorte de 3,000 montagnards épirotes. La nationalité unit les Albanais bien plus que la religion ne les divise.

Omer s’était pénétré à la cour du pacha de Janina de la politique astucieuse du vieil Ali. On le voit dès le début pratiquer cette politique en maître. Les armatoles du Pélion, de l’Olympe et du Pinde avaient conservé sous la domination turque le droit de porter les armes ; ils élisaient leurs primats, levaient eux-mêmes leurs taxes. Tous les conquérans qui s’étaient succédé en Grèce depuis le XIIIe siècle avaient respecté leur indépendance municipale ; Omer Vrioni mit à néant ces antiques franchises. La rivalité de Ranges et de Karaïskaki lui en ouvrit le chemin. Des troupes expédiées de Larisse occupèrent le district jusqu’alors inabordable d’Agrapha. Omer avait pris parti pour Ranges ; il laissa Karaïskaki à la Grèce. Ce fut une semblable méprise que commit Louis XIV quand il négligea de s’attacher le prince Eugène.

De taille moyenne, maigre, brun, actif, avec un regard expressif et perçant, Karaïskaki avait toutes les aptitudes d’un chef de bandes irrégulières, sans en exclure les faiblesses et les vices. La guerre ne se lassait pas d’éclaircir les rangs des champions de la liberté. Le rôle du capitaine d’Agrapha ne tarda pas à grandir, et ses facultés se développèrent avec son importance. Karaïskaki commandait en 1825 les Rouméliotes à la bataille de Modon ; à peine remis de cette sanglante défaite, il courait attaquer les convois de Reschid dans les montagnes de l’Acarnanie. On aurait eu tort d’attendre de cet homme des hautes terres des combinaisons profondes, un plan de campagne régulier ; Karaïskaki faisait la guerre en klephte, il la fit pendant cette campagne avec autant de vigueur et plus d’intelligence que Colocotroni. Ces deux capitaines se ressemblaient aussi peu par leur génie que par leur apparence. Ils appartenaient à la même nation, non pas à la même race.

Un autre soldat rouméliote, un autre capitaine d’armatoles, avait aussi naguère commandé dans l’Acropole d’Athènes ; mais la rudesse albanaise avait eu raison de l’astuce du plus rusé des Grecs. On se souvient qu’Odysseus, compromis et abandonné par Omer-Pacha, n’avait pu se soustraire à la juste vengeance de Coletti qu’en se livrant à son propre lieutenant, l’Albanais Gouras. Tiré par la faveur d’Odysseus des rangs obscurs de la troupe, Gouras n’avait pas livré son chef à une faction ennemie ; il ne s’était pas cru non plus tenu de