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de se condamner à la production forcée, et qui commencent par n’avoir plus le temps de lire pour finir ensuite par n’avoir plus le temps de penser. J’aime à retrouver cette morale littéraire sous la plume de M. Blaze : il s’y plaît avec raison ; il donne l’assaut en vers comme en prose à ce charlatanisme composé de paresse, de frivolité et d’intérêt. Rien ne s’associe mieux avec le goût de la règle que la liberté de l’imagination : celle-ci assaisonne l’austérité des principes, et la manière la plus efficace de défendre la loi est d’employer à son usage un peu d’ironie. On commence par l’admiration, mais le moment arrive toujours où l’esprit, plus mûr, tourne à la sévérité : c’est alors que l’humour vient à son aide et que les principes éternels du bon sens, prenant leur revanche, paraissent avoir des grâces nouvelles. Ce moment fatal des désappointemens, des réserves, vint plus tard pour M. Blaze, et c’est la critique musicale surtout qui lui en fournit l’occasion. À l’époque de la plupart de ses travaux sur l’Allemagne, il gardait le plus souvent ses saillies pour ses vers ; il y mêlait même des théories. Sa critique était presque tout entière à l’admiration, à la curiosité, sentimens que la nouveauté des matières justifiait. Il semblait surtout que le grand nom de Goethe lui imposât, comme ces divinités du paganisme qui ne permettaient pas le moindre sourire dans les sacrifices. Un seul morceau fait exception dans le nombre, et encore n’est-ce pas pour Goethe qu’est l’irrévérence. À propos de l’entrevue de Goethe et de Napoléon, c’est le conquérant qui est frondé ; le poète conserve son privilège d’inviolabilité divine, et cela est assez naturel, puisqu’il s’agit de littérature. Il était piquant d’ailleurs de Voir discuter avec l’auteur de Faust l’empereur-soldat, inflexible dans ses notes diplomatiques tout autant que l’étaient les poétiques françaises, et donnant au duc de Weimar, le maître de Goethe, vingt-quatre heures pour quitter le drapeau prussien, juste le même temps qui est accordé au dénoûment d’une tragédie classique pour s’accomplir. L’absolutisme politique et littéraire de Napoléon donne lieu à la gaîté satirique de l’auteur ; il s’amuse à bon droit de la littérature de l’empire, qu’on pourrait diviser en littérature d’état, création mal venue, factice, ressemblant au xviie siècle comme l’étiquette du consulat ressemblait aux magnificences de Versailles, et en théâtre des boulevards, né des ruines du théâtre ancien cimentées par la grossièreté et l’ignorance des plus mauvais jours de la révolution.

Il est malaisé de donner un tort à Goethe sans avoir M. Blaze contre soi ; mais les traits dont il poursuit ceux qui ne peuvent souffrir l’égoïsme trop réel de cet homme atteignent plus de gens qu’il ne pense. Que ce soit là un dada littéraire, nous le voulons bien, mais il y a en matière de morale et de sentimens d’huma-