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Les dispositions de ceux qui entendent ou qui lisent sont la moitié du talent de celui qui parle ou qui écrit. M. Blaze a toujours adressé la primeur de la plupart de ses œuvres à un public très général, le public le plus littéraire de France et de l’étranger, curieux de tout ce qui mérite d’être connu, facilement initié, suivant l’expression d’un excellent critique anglais, « à tout ce qui est pensé de meilleur dans le monde entier, » incapable de suivre longtemps un écrivain, pour célèbre qu’il soit, dans ses caprices personnels. Les humoristes de l’Allemagne ou ses romantiques ne l’ont pas exclusivement occupé. Il a beaucoup étudié Goethe, et tandis qu’il traçait quelques larges voies et une infinité de petits sentiers à travers les domaines encore, inexplorés de ce vaste génie, il s’ouvrait à lui-même des horizons plus étendus, il s’exerçait à lutter avec le colosse, il consolidait pour ainsi dire le tempérament de son esprit. Il a beaucoup fait pour populariser chez nous l’auteur de Faust : depuis cette époque, Goethe est devenu, presque au même degré que l’auteur d’Hamlet, un classique de la France. On a fait du grand poète allemand des traductions complètes; on a raisonné de ses œuvres sans être obligé de s’y préparer par de longues années d’étude sur sa langue.

Par son livre sur le Faust complet, par ses Écrivains d’Allemagne et ses Maîtresses de Goethe, M. Blaze nous introduit dans la familiarité où il s’est de longue main établi avec le poète lyrique et dramatique, avec la personne même de son héros. C’est au milieu des lieds et ballades de ce grand artiste que sa plume est le plus à son aise, que son admiration s’épanche sans contrainte. Nulle part Goethe n’a plus approché de la perfection que dans ces chants, où il était obligé d’être court et de se tenir près de l’invention précise et de la composition laconique des vieux conteurs populaires. Tels sont le Preneur de rats, la Danse des morts, Mignon, les Cerises de Saint-Pierre. Ces morceaux simples et achevés portent bonheur au critique : sa traduction du Roi des aulnes, bien qu’un peu sautillante, rend avec grâce l’effet de terreur du texte, et l’on sait combien il est malaisé de faire passer dans le vers français la poésie étrangère; c’est une torture où le traducteur a peu de chose à gagner, et la poésie tout à perdre. La libre fantaisie des Épigrammes vénitiennes respire encore dans les pages que M. Blaze leur a consacrées; mais, quand il arrive aux compositions à la manière antique, on croit sentir que dans ses admirations il entre plus de respect que d’entraînement. Il passe très vite sur les poésies à la manière orientale : sans doute il faut savoir tout comprendre, mais ce n’est pas nous qui contesterons à l’auteur des Écrivains de l’Allemagne la légitimité de ses préférences. Osons dire toute notre pensée :