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mieux, que nous n’avons jamais autre chose à faire qu’à remercier « notre mère la Terre et notre père l’Éther, » que même l’existence la plus traversée est encore semée de mille voluptés pour ceux qui savent les discerner. En un mot, c’est un optimisme aussi complet, aussi intrépide que celui des saints qui bénissent la main de Dieu quand elle les frappe et se réjouissent de leurs douleurs elles-mêmes. Au nom du bon sens, mettez-vous donc d’accord avec vous-même : ou bien cet optimisme est un défi à l’évidence, une exaltation héroïque, démentie continuellement par la réalité, et alors vous ne ferez jamais que l’homme religieux qui met sa consolation, son espoir, dans les hauteurs inviolables où il croit trouver la félicité pure, ne soit pas mieux partagé que celui dont toute la ressource consiste à se soumettre à la fatalité, — ou bien cet optimisme est fondé en fait et en droit : ceux qui se plaignent ont toujours tort, tout est pour le mieux dans ce monde, Balder a raison, tout malade et navré qu’il est, de chanter le bonheur de vivre; mais alors que devient l’argument contre l’existence de Dieu?

C’est, sous la forme du roman, absolument le même sophisme que M. Strauss étalait naguère avec toute la gravité du langage philosophique lorsque, dans un chapitre de son Neue Glaube, il faisait le procès de l’auteur de l’univers en relevant les imperfections qui le déparent, et que, dans le chapitre suivant, il réclamait notre dévotion pour l’univers, source et laboratoire de toute vérité, de toute beauté, de toute justice. Nos pauvres cervelles gauloises ne parviendront jamais à marier tant de pessimisme à tant d’optimisme.

C’est ainsi que la réflexion détruit le charme des incidens dramatiques bien racontés et des dialogues spirituellement tournés. Ce charme s’évanouit pour faire place à un sentiment analogue à celui qu’on éprouve en sortant de certains rêves prolongés dans lesquels on avait commencé par se complaire, mais qui à la longue deviennent fatigans. On s’en veut d’avoir été si longtemps la dupe de quelque chose de faux; on s’aperçoit que ce qu’on avait cru être des personnes réelles n’était qu’un va-et-vient de fantômes, que l’on avait pris des grimaces pour des sourires, et des contorsions pour des gestes naturels. La belle femme, selon l’adage bien connu, finit en queue de poisson. Ce qu’il y a de faux ou d’artificiel dans les conceptions de l’auteur se trahit malgré tout son art dans les petits détails. Ses personnages posent plus souvent qu’il ne voudrait et manquent de naturel. Edwin caresse continuellement les cheveux blonds de Balder, comme une mère ferait à son fils, une jeune épouse au mari qu’elle adore. Ses héroïnes ont continuellement les mains ou les bras croisés sur la poitrine. A la fin, ces affectations impatien-