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probante de son apologie de l’athéisme, et, comme une pareille thèse n’est pas de celles qui permettent l’indifférence, il en résulte une impression finale de mécontentement qui achève d’indisposer contre l’œuvre et contre l’auteur.

M. Heyse ne s’est pas borné à en appeler des injustices dont l’opinion se rend parfois coupable envers ceux qu’à tort ou à raison elle accuse d’athéisme. S’il avait simplement voulu dire que dans les temps modernes, vu le cours général des idées et des systèmes, il est possible à un homme de rester honnête, probe et chaste tout en professant le scepticisme religieux et même la négation de toute vérité religieuse, on se sentirait désarmé. Le fait est qu’il existe des partisans théoriques de l’athéisme qui ont au plus haut degré la religion du devoir. On doit se demander toutefois si ce sont bien là des athées. Est-ce réellement de l’athéisme qu’une foi si profonde en l’ordre moral que celui qui la possède s’incline profondément devant sa majesté, et se sent prêt à tous les sacrifices pour se conformer à ses exigences? Que son Dieu soit incomplet, que sa religion manque pour nous de chaleur et d’attrait, là n’est pas la question; c’est encore un Dieu, c’est toujours une religion. Rien absolument n’interdit à un romancier de développer ce thème, si ce thème lui sourit; mais les Kinder der Welt ont une tout autre visée : ils veulent prouver la supériorité intellectuelle et morale des gens qui ne croient pas en Dieu sur ceux qui ont encore la faiblesse d’y croire. Il semble en lisant ce roman que la foi en Dieu ne peut plus être le partage que d’esprits médiocres, étrangers à la science, ou bien déterminés par des calculs politiques ou honteux. Tous les personnages qui ont ou professent des convictions religieuses sont ou de bons cœurs battant sous des têtes bornées, comme le petit peintre Kœnig, père de Léa, et sa chère veuve Valentin, ou des cerveaux étroits comme le pasteur qui préside aux funérailles de Balder, ou de fieffés coquins comme le candidat Lorinser. Nulle part nous ne voyons apparaître un seul chrétien de conviction éclairée, large, tolérante, comme il y en a, Dieu merci, en Allemagne et ailleurs; nous ne voyons que de jeunes athées, sages comme des jeunes filles, et que des croyans ridicules, quand ils ne méritent pas la corde. Il y a mieux. M. Heyse a inventé un Christ athée, mythique, cela s’entend, c’est-à-dire purement fictif; mais en fait c’est un joli petit Jésus que ce Balder si beau, si doux, si malheureux, et pourtant si résigné, qui pousse l’abnégation jusqu’à l’héroïsme, qui meurt victime de son dévoûment fraternel, et qui, même après sa mort, exerce une influence sanctifiante sur tous ceux qui de près ou de loin l’ont connu. Tout cela peut être présenté sous une forme intéressante; mais, encore une fois, qu’est-ce que l’auteur a prouvé?