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rions eu besoin de tout autre chose que le cahier de Mlle Léa pour comprendre comment l’amant de Toinette a pu tomber si vite aux pieds de son élève et lui certifier qu’elle était désormais « son un et son tout. »

M. Heyse se réservait certainement, et c’était son droit, de nous montrer qu’Edwin était moins à l’abri d’une rechute qu’il ne le croyait lui-même. On pressentait la chose en voyant Edwin épouser Léa à la fin du second volume, tandis que le troisième était là, promettant une suite encore longue; mais la première contradiction psychologique pousse l’auteur à de nouvelles invraisemblances. Il nous a présenté le bonheur conjugal d’Edwin et de Léa comme complet, sauf l’absence d’un enfant, dont rien ne leur défend encore d’espérer la venue. Edwin est toujours et de plus en plus un homme sérieux, très moral, et, s’il se rappelle encore le délicieux minois qui l’avait ensorcelé, ce ne peut être qu’en se félicitant d’avoir échappé au danger d’épouser une coquette au cœur sec qu’il ne peut estimer, — car, à ses yeux, elle s’est positivement vendue à un homme qu’elle n’aimait pas, uniquement parce que cet homme est riche et titré. Comment admettre maintenant que, dans de pareilles dispositions, il se laisse persuader d’aller chapitrer Toinette sur son infidélité aux conditions du marché qu’elle a si lestement conclu? Comment s’imaginer que le comte, péniblement froissé de la conduite de sa femme, vienne supplier son ancien rival de décider celle-ci à revenir dans ses bras ? Les invraisemblances psychologiques s’accumulent, et, pour porter la mesure au comble, voici notre auteur allemand qui nous offre le pendant au clair de lune de la scène scandaleuse qui fit un moment la vogue d’un de nos plus mauvais romans parisiens de ces dernières années. « La femme au clair de lune » pourra servir, comme « la femme de feu, » de prétexte à décor à quelque directeur de théâtre aux abois. Encore une de nos gloires françaises que l’Allemagne nous ravit ! Il a fallu inventer cette énorme invraisemblance d’une comtesse allant se baigner dans un étang après minuit, et s’étalant aux yeux d’un philosophe qui n’a pas le courage de les fermer, pour expliquer pourquoi la philosophie est tout près de faire naufrage quand la même comtesse vient dans la chambre de son ancien adorateur lui faire des propositions renouvelées de l’histoire de Joseph. Si un romancier français de quelque valeur avait raconté de pareilles choses, je laisse à penser les clameurs vertueuses que les correspond ans de la presse allemande eussent développées sur leur thème favori de l’irrémédiable corruption de la littérature et de la société françaises ! Nous ne les imiterons pas, mais nous exprimerons le regret qu’en Allemagne comme en France des écrivains de talent recourent à de pa-