Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cevant, êtes-vous assez heureux de posséder une femme active et entendue comme je le suis ! Grâce à vous, j’ai chevauché toute la matinée en compagnie d’Antonio, et cela vous coûtera au moins cent piastres que j’ai distribuées un peu à tort et à travers en votre nom. Me pardonnes-tu?

— D’avoir fait le bien, ma Lorenza? je t’en remercie.

— Dînons, veux-tu? et raconte-moi un peu les merveilles que tu prépares.

L’humeur enjouée de sa femme eut raison de la raideur un peu inquiète de don Luis, qui s’attendait à quelques reproches. Après le repas, il s’établit sur la terrasse, aux pieds de Lorenza, qui lui raconta, — en taisant ce qui le concernait, — la visite qu’elle avait reçue.

— Pauvre Quirina, dit la créole en terminant, elle m’a laissée toute pensive et tout attristée. Vous êtes cruels, messieurs les hommes.

— Quirina se trompe, son mari l’adore.

— C’est ce que je me suis fatiguée à lui répéter, mais cette grande enfant ne sait que pleurer.

— Tu ne pleurerais donc pas, toi? demanda don Luis.

— Je n’en sais rien, c’est bien assez de songer aux choses qui peuvent arriver sans se mettre en peine de chimères. Cependant, si par impossible une femme venait jamais à se placer entre toi et moi, je crois qu’elle en mourrait.

Doña Lorenza, mollement renversée en arrière, la tête posée sur ses beaux bras, souriait tout en parlant, et ses yeux à demi clos par ses longs cils regardaient amoureusement don Luis, qui se leva.

— Bonsoir, señor volcan, dit-il en se penchant vers elle.

D’un geste rapide, la jeune femme saisit la tête de son mari, l’appuya contre la sienne, puis l’embrassa.

— Moqueur! dit-elle; pourtant ne t’y fie qu’à moitié : celui-ci aussi dort, continua-t-elle en se renversant de nouveau, tandis que sa main désignait le lac, et notre ami le docteur, qui rôde sans cesse sur ses bords lorsqu’il vient nous rendre visite, ne le tient-il pas pour un volcan?


III.

Le lendemain, vers neuf heures du soir, deux foyers de branches de styrax, disposés à égale distance du perron de la préfecture de Cordova, rougissaient de leurs flammes intenses la façade des maisons environnantes, et chargeaient l’air de leur odorante fumée. Les fenêtres du vaste salon qui sert de lieu de délibération au conseil