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devant le foyer; cinq minutes plus tard, les tisons lancés dans le lac semaient les rochers d’étincelles, et don Luis apparaissait sur le balcon.

Doña Lorenza reposait déjà sur un fauteuil et semblait engourdie. Elle tendit les mains à son mari, qui les lui baisa et s’assit près d’elle. Il roula une cigarette que sa femme lui prit des doigts aussitôt qu’elle fut allumée et dont elle aspira la fumée pour la rejeter par les narines. Avant même qu’il eût pu parler, elle lui raconta que, redoutant un orage, elle avait suspendu les travaux avant l’heure, — que Tonatl avait demandé une avance de dix piastres, — qu’un garçon était né à Juan le sauvage, — qu’Antonio Lopez et Pepa Nuñez, dont une vieille brouille séparait les deux mères, voulaient se marier, et qu’elle leur avait promis son appui.

— Et toi, demanda-t-elle en posant sa petite main sur l’épaule de son mari, qu’as-tu fait de tes heures?

— J’ai passé ma journée au théâtre, qu’il faut blanchir de fond en comble, ainsi que je l’avais prévu. La Wilson ne peut nous donner que trois représentations; elle veut être à Puebla dans douze jours.

— Travaille-t-on au théâtre la nuit?

— Non certes; mais, en ma qualité de commissaire, n’ai-je pas à me préoccuper du bal d’après-demain? Je n’ai été libre qu’à neuf heures, et j’ai songé à souper.

— Seul?

— Non; en compagnie de Solar, de Niéto, de Vargas, du consul américain et d’un attaché de la légation française. La Wilson nous avait invités pour faire honneur au consul de son pays, car elle est de New-York et non pas Anglaise, ainsi que l’ont à tort répété les journaux.

— Elle parle donc espagnol, cette chanteuse?

— Et français et italien aussi.

— Et elle est très belle?

— Tu la verras, dit en se levant don Luis. Ses cheveux ont la couleur de l’or, ses yeux celle du ciel, et son teint est plus blanc que les lis.

— Une figure de cire alors! répondit en riant doña Lorenza. — Elle abandonna son fauteuil, posa son front sur les lèvres de son mari et ajouta : — Il est véritablement tard, et je m’endors.

— Allez donc vous reposer, ma belle señora. Un mot : assisterez-vous au bal d’après-demain?

— J’y suis bien forcée, puisque tu le veux.

Don Luis avait depuis longtemps regagné sa chambre que doña Lorenza errait encore sur la terrasse. Le vent avait cessé de souffler,