Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L’EAU DORMANTE
SCENES DE LA VIE MEXICAINE.


I.

Au sud de la petite ville de Cordova, construite sur la limite qui sépare la terre chaude de la terre tempérée, et sur la route qui de Vera-Cruz mène à Mexico, s’élève l’hacienda de Santa-Rosa. Lorsque l’on sort de la ville par le chemin du Fortin, on traverse le Rio-Seco, que le moindre orage transforme en torrent, et dont les eaux limoneuses roulent alors des blocs de lave. Un large sentier, grimpant sans aucun souci de la pente sur le flanc d’une colline, conduit en ligne droite sur un plateau couvert d’orangers, de citronniers, d’avocatiers et de manguiers. Au-delà de ce bois, long d’un kilomètre à peine, on se trouve devant une muraille de roches sans autre issue visible qu’une étroite échancrure taillée par la main des hommes. En face de cet obstacle, sorte d’escalier aux marches mesurées pour les pas d’un géant, les cavaliers s’affermissent sur leurs étriers, serrent les coudes, se penchent sur le cou de leur monture et jouent de l’éperon. Accoutumés à ces mauvais pas, les petits chevaux mexicains se ramassent, bondissent, leurs sabots sans fers s’éraillent sur le granit; mais toujours les braves animaux atteignent le sommet. Là, au lieu de la plaine que l’on s’attend à découvrir, les regards surpris, effrayés, plongent sur un vaste entonnoir aux bords garnis de pierres titanesques, gouffre au fond duquel dorment les eaux paisibles d’un lac.

L’écroulement d’une colline, lointaine catastrophe dont les Indiens ont perdu le souvenir, a dû creuser cet abîme envahi par une onde souterraine, morne, glacée, que l’ombre rend noire durant le jour, que le soleil couchant, par une disposition singulière des