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encore autant qu’elles l’ont fait depuis, et conservaient plus de traces de leur commune origine. D’après ces descriptions, souvent également appliquées aux barbares des races voisines, les anciens Slaves que nous reconnaissons sous les noms d’Antes, de Vendes, de Slovènes, et peut-être aussi de Sarmates, semblent avoir été grands et robustes, avoir eu les yeux gris ou bleus, les cheveux châtains, rouges ou blonds, traits qui se retrouvent encore souvent d’un bout à l’autre de la Russie. L’anthropologie archéologique ne nous donne pas de renseignemens beaucoup plus précis. Les plus anciens tombeaux slaves ont fourni, dit-on, par exemple aux environs de Cracovie, des crânes de la forme allongée ou dolichocéphale qui caractérise le plus pur type aryen. Par suite d’un précoce mélange avec les races ouralo-altaïques, les Finnois ou les tribus voisines, beaucoup des peuples slaves aujourd’hui existans ont perdu ce trait caractéristique de la race indo-européenne, ou ne le possèdent qu’à un degré inférieur à la plupart des peuples latins ou des Germains. Aussi, dans les classifications ethnologiques uniquement fondées sur la forme du crâne, ont-ils été parfois placés à côté des Finnois parmi les brachycéphales ou peuples à tête courte, tandis que leurs frères aryens étaient avec les Sémites rangés dans la classe dolichocéphale[1], Quelque défectueuse que soit une pareille classification, appuyée sur un seul caractère, elle a l’avantage de montrer que, par leur mélange avec les Finnois, les Russes ne se sont pas autant éloignés des autres Slaves qu’on est porté à se l’imaginer.

Il est plus difficile d’esquisser les aptitudes intellectuelles de cette race, qui dispute le monde aux Latins et aux Germains. C’est dans une longue carrière de civilisation, c’est par les lettres, les arts, les institutions politiques, que se dessine le génie des races et des nations. La plupart des Slaves sont trop jeunes à la vie nationale ou à la culture européenne pour que leur individualité ait pu se mettre dans le même relief que celle de leurs rivaux. Longtemps méprisés par les peuples de l’Occident, qui de leur nom (Esclavons) ont tiré le mot d’esclaves, dédaignés par leurs voisins d’Allemagne, qui ne veulent voir en eux qu’une pure matière ethnologique (ethnologische Stoff), les Slaves n’ont probablement dû l’infériorité de leur rôle qu’à leur position géographique. Restés à l’orient et comme à l’entrée de l’Europe dans sa partie la plus massive et la plus exposée aux invasions de l’Asie, ils ont été naturellement les derniers civilisés et ceux qui l’ont été le moins profondément. Ne pouvant élever de prétentions sur la culture de l’Europe moderne, quel-

  1. Voyez la classification craniologique la plus complète de ce genre donnée par un savant suédois, Anders Ret4us, Ethnologische Schriften; Stockholm 1864.