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nègues, sur le même fleuve ou sur le Don parmi les Cosaques, sur le Volga même et ses affluens; mais, quoi qu’on fasse, on trouvera leur influence toujours inférieure à celle des Finnois dans les régions du nord, d’autant plus que les Tatars eux-mêmes ont souvent été croisés de Finnois. Qu’on exagère ou diminue le rôle des Tatars dans la race russe, il n’en est pas moins essentiel de connaître les aptitudes, le génie et la situation actuelle de ce peuple, qui dans l’histoire de la Russie a tenu une si grande place et en occupe encore une importante sur son territoire. Quels sont aujourd’hui ces Tatars dont le nom est devenu synonyme de barbares? Qu’ont les Russes à en craindre? qu’ont-ils à en espérer?

Les Tatars ont subi tant d’alliages qu’au point de vue physique même il n’est pas toujours facile de les réunir sous un même type. Leur visage témoigne souvent du mélange des races, et dans de petites régions, sur un nombre d’hommes relativement faible, les types sont parfois fort différens. Dans la seule Crimée, où les émigrations successives les ont réduits à une centaine de mille, on trouve la plus grande diversité. Dans les steppes de l’est se rencontre le Nogaïs au nez aplati, aux yeux relevés en dehors, au type parfois presque mongol, kalmouk, — dans les montagnes de la côte sud-ouest, un visage ovale, des sourcils arqués, un nez droit, parfois aquilin, un type tout caucasique, aryen, presque grec. Dans les deux cas, c’est l’effet du mélange des races : le Nogaïs est la seule tribu tatare fortement croisée de Mongol ; les Tatars du sud-ouest- descendent en grande partie des Grecs de la côte ou des Goths de l’intérieur, qui, devant les invasions tatares, se sont réfugiés dans les montagnes, et n’ont été convertis à l’islam qu’un siècle ou deux avant de tomber sous le pouvoir de la Russie. On peut signaler des différences analogues chez les Turcs ottomans, selon les provinces, les villes et les classes, selon le degré de mélange avec les races conquises, en sorte que le rameau tatar n’a pas aujourd’hui beaucoup plus d’homogénéité anthropologique que le rameau finnois. C’est peut-être à Pétersbourg, au musée de l’Hermitage, sur les admirables bijoux trouvés dans les tumuli de Crimée, aux portes de Kertch, l’ancienne capitale du Bosphore cimmérien, le royaume de Pharnace, qu’il faut chercher le portrait des premières tribus tatares ou finno-turques de Russie. Là, sur des boucles de ceinture d’or ou sur des coupes d’argent, revit après plus de vingt siècles le cavalier ou l’archer Scythe en longues bottes, en pantalon serré, en tunique courte rappelant la blouse du paysan russe. En dehors de ces bijoux grecs de Kertch, aussi supérieurs à ceux de Pompéi que l’art d’Athènes le fut à celui de Rome, des figures analogues ornent des bijoux moins fins découverts dans les tombeaux des steppes du sud, et qui semblent l’œuvre des Scythes eux-mêmes, déjà assez épris de l’art grec pour