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Est-ce à dire que ces êtres néfastes, — sorcières, géans malfaisans, esprits des eaux et des bois, vampires, — occupent seuls l’imagination du paysan russe, et qu’elle n’ait pas rêvé de plus bienfaisantes créatures? Non assurément. Nous rencontrons dans les contes russes maintes figures d’adorables princesses, de rois vaillans, d’animaux compatissans aux misères de l’homme, d’êtres surnaturels qui luttent victorieusement contre le mal, guérissent les blessures des vaincus et rappellent les morts à la vie. Dans des régions lointaines, la nature a dissimulé deux sources d’eaux merveilleuses, l’eau morte, qui cicatrise les plaies les plus profondes. Veau vivante, qui rend la force et la jeunesse. L’oiseau de feu, Jar Ptitsa, se plaît à seconder les entreprises des amans. Ses plumes brillent comme de l’or, ses yeux comme du cristal : il demeure dans une cage dorée; mais il n’y est point enfermé. Pendant la nuit, il s’envole dans les jardins, que ses ailes éclairent de mille feux. Une seule de ses plumes suffit à illuminer une chambre tout entière. Il s’endort au lever du jour, et ne se réveille qu’au coucher du soleil. L’oiseau de feu, — que je soupçonne de n’être pas sans quelque analogie avec la lune, — appartient au monde de la fantaisie; mais il est plus d’un conte consacré aux aventures des animaux où le mythe doit être aussi peu cherché que dans les fables de Krylov ou de La Fontaine. Parmi ces récits, il en est de fort amusans et qui font grand honneur à l’humour du paysan russe. Quels bons tours le chat et le renard jouent aux animaux les plus redoutés, par exemple au loup et à l’ours! Le faible triomphant du fort par la ruse, c’est là un thème bien fait pour tenter l’imagination, populaire. Dans son instinct égalitaire, le peuple va jusqu’à donner le plus beau rôle au paysan imbécile, nigaud (durak), à celui que tous ont méprisé, insulté, battu, et qui finit par accomplir des merveilles de bravoure, de sagesse, par épouser une belle princesse et par régner sur un grand royaume. Il y a là, ce semble, un côté démocratique, sur lequel M. Rialston n’a peut-être pas suffisamment insisté.

Je voudrais maintenant donner une idée du conte russe en citant l’un des plus curieux et des meilleurs qu’ait produits la littérature populaire. Voici l’histoire de la Belle Vasilissa.


Dans un certain royaume vivait un marchand. Il vécut marié douze années; mais il n’avait qu’une fille, la belle Vasilissa. Elle avait huit ans quand sa mère mourut. Sur son lit de mort, la femme du marchand appela sa fille, tira de son lit une poupée, la lui donna et lui dit : — Chère Vasilissa, écoute mes dernières paroles, et sois-y obéissante. Je vais mourir : avec ma bénédiction maternelle, je te lègue cette poupée. Garde-la toujours, ne la montre à personne; si quelque malheur t’arrive, donne à manger à ta poupée et demande-lui conseil. Une fois nourrie, elle t’indiquera un remède contre tes soucis. — Là-dessus, la mère embrassa son enfant, et mourut.