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soutenir, pour nourrir et payer cette armée, il faut de l’argent, qu’on a encore moins. Il faut enfin un gouvernement capable d’inspirer de la confiance au pays, de réveiller en lui le sentiment de la sécurité, en lui offrant des garanties d’aptitude et de modération. M. Castelar a beau épuiser son éloquence à faire appel aux partis libéraux, tous également menacés par le carlisme, cela ne sert à rien tant qu’on n’a rien de mieux à offrir à ces partis libéraux que cette « république fédérale, » qui représente pour l’Espagne une menace de dissolution. Les carlistes ne peuvent demander rien de mieux pour leur cause que le maintien obstiné de la prétendue république fédérale ; avec elle et par elle, ils gardent toutes les chances qu’ils peuvent avoir. Là, comme partout, le fanatisme républicain fait les affaires de la dictature et de l’absolutisme. C’est M. Gastelar lui-même qui a dit l’autre jour le dernier mot de l’expérience désastreuse à laquelle il s’associe : « entre l’anarchie et la dictature, la société n’hésite jamais ! »

ch. de mazade.

ESSAIS ET NOTICES.

LES CONTES POPULAIRES DE LA RUSSIE.
Russian Folk Tales, by W. R. S. Ealston. London, Smith, Elder and C°, 1873.

La destinée de la littérature populaire n’est pas sans analogie avec celle d’une de ses héroïnes favorites, Cendrillon, la sœur cadette longtemps méprisée, confinée au foyer paternel, puis un jour, par un soudain retour de fortune, offerte aux hommages d’une cour brillante, élevée au rang suprême de la royauté. Pendant des siècles, le conte populaire est resté relégué au sein des classes rustiques, ignoré et dédaigné par celles qui se croyaient plus cultivées. Cependant il a pénétré dans la littérature sous plus d’un déguisement, grâce à la complicité de quelque bel esprit curieux et sceptique, Perrault par exemple. Toutefois ces ornemens empruntés, qui ont fait le succès de Peau d’âne ou de Barbe-Bleue, ne sont point du goût de la science moderne : elle les rejette avec indignation ; elle recherche les textes dans toute la pureté, la nudité primitive, elle introduit l’Ogre et le Petit-Poucet, fort surpris d’un tel honneur, dans le grave conseil où se discutent les problèmes de la mythologie indo-européenne et de la littérature comparée. À vrai dire, on n’est pas encore absolument d’accord sur la façon de comprendre ces fantaisies tour à tour naïves, bizarres, sublimes, parfois même, avouons-le, complétement inintelligibles. Tandis que les uns y voient l’exposition des phénomènes cosmiques et trouvent dans Barbe-Bleue la trace d’un « mythe solaire, » les autres y cherchent simplement des allégories morales ou des traditions historiques ; mais, avant d’entrer