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seul à soutenir cet avis; on reconnaît un disciple de M. Le Play. Trois situations différentes de la famille correspondent, suivant M. Le Play, aux diverses époques ou aux diverses phases des sociétés. Il y a d’abord la famille patriarcale, régime qui laisse tous les biens indivis sous l’administration d’un seul, et dont le trait distinctif est l’esprit de tradition locale, l’obéissance à la coutume transmise des ancêtres. Cette condition, qui est celle des temps primitifs, se rencontre encore chez quelques peuples orientaux. En opposition avec la famille patriarcale, il distingue ce qu’il appelle la famille instable : il désigne ainsi le régime que nous a fait dans la France, fille de la révolution, le code civil, avec sa disposition du partage égal. Le trait distinctif est ici l’esprit d’indépendance et de nouveauté, de dispersion et d’individualisme, perpétuelle menace d’isolement et d’abandon pour les plus faibles, jeunes ou vieux, constant péril pour les traditions morales, exposées aux mille influences des milieux les plus divers. M. Le Play ne songe pas à souhaiter que la société française retourne à la famille patriarcale assurément; mais il déplore qu’elle s’abandonne au régime de la famille instable, et ne voit de refuge pour elle que dans une condition intermédiaire, ce qu’il appelle la famille-souche, régime dont il a découvert les modèles, soit chez divers peuples de l’Europe, soit dans quelques vallées des Alpes ou des Pyrénées, et qui est à ses yeux la plus haute et la plus complète expression du progrès social. Telle est en quelques mots la formule de M. Le Play; c’est celle de M. de Ribbe, de M. Claudio Jannet, de tout un groupe ardent, désormais compacte et discipliné, qui a des ramifications dans les administrations locales, dans le clergé, des assises et un organe de propagande et de publicité dans la Société des études pratiques d’économie sociale et son Bulletin périodique. M. de Ribbe, grâce aux livres de raison, a montré par quelques nouveaux traits ce qu’est la famille-souche des Pyrénées; voyons par ses récits quelle est cette condition que l’on souhaite de voir s’étendre à toute la France, et quels griefs on exprime contre la législation du code.

Sous le régime de la famille-souche, le père choisit pour « héritier-associé, » pour « soutien de la maison, » celui de ses enfans qu’il juge le plus capable de l’aider à continuer son œuvre. L’héritier-associé travaille désormais gratuitement, lui et les siens, sur le domaine, aux ordres de son père et de sa mère. S’il se marie, la dot de sa femme appartient au père, seul maître de tout le patrimoine. Après la mort du père, l’héritier-associé continuera ses services sous l’autorité de la mère survivante et usufruitière; il ne pourra épargner pour lui-même et pour ses enfans qu’après qu’il aura soldé les dots de ses frères et sœurs et supporté toutes les charges du testament paternel. Ce qui est partagé dans ce cas, c’est donc le