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révolutions. Il en est d’heureuses, il en est de nécessaires, il en est d’autres après lesquelles on crie de toutes parts : Seigneur Dieu, fendez-nous ce gouvernement que nous haïssions et délivrez-nous des intrigans ! O vanité des illusions ! le monde est plein de gens et de peuples qui redemandent leur goutte.

Ce n’est pas seulement la complexion naturelle des Espagnols qui a nui à la solidité de leur établissement politique ; il faut tenir compte de plis depuis longtemps contractés, d’habitudes qui résultent de leur histoire et de l’éducation qu’elle leur a donnée. Les élans chevaleresques, l’héroïsme, le mépris du danger, la générosité à l’égard des petits et des vaincus, la charité exercée sans faste, ces pitiés et ces tendresses qui siéent aux forts, l’Espagne a tout cela ; les vertus éclatantes et les vertus touchantes croissent comme d’elles-mêmes sur cette terre d’orangers et de palmiers. Ce qui lui manque, c’est une vertu toute bourgeoise, qui n’a rien de brillant, et qu’on appelle le respect de la loi ou l’esprit légal, indispensable condition de la monarchie constitutionnelle aussi bien que de la république.

À quelle école les Espagnols auraient-ils appris le respect de la loi ? Le despotisme a été souvent civilisateur, il a travaillé à l’éducation de plus d’un peuple, témoin l’histoire de Prusse et de France ; la tyrannie au contraire n’enseigne rien que la crainte ou l’idolâtrie du tyran. Or ce n’est point un despotisme ordinaire qui a régi l’Espagne pendant trois cents ans ; que n’a-t-elle eu pour maîtres des Louis XIV ou des Frédéric II ! Un publiciste disait au commencement de ce siècle que le roi catholique était au pied de la lettre le père de ses peuples, et qu’il avait la faculté de faire tout ce qui lui semblait bon dans toutes les sphères de la vie du citoyen dans l’intérieur des familles et dans le ménage des particuliers. L’inquisition était un tribunal spirituel au service du trône, qui communiquait, pour ainsi dire, à la puissance royale toute l’étendue qu’a la religion, et lui conférait l’empire des consciences, le règlement des mœurs et de la vie privée. Grâce à ces juges omnipotens, qui poursuivaient à titre d’hérésie tout ce qui était ou paraissait contraire aux intérêts du prince, le bras royal atteignait d’indéfinissables délits dont aucun tribunal de justice humaine n’aurait pu connaître » Qui dira où commence et où finit l’hérésie ? Quand le trésor est pauvre, la plus grande hérésie pour un particulier est d’être riche, et un souverain qui a des inquisiteurs à ses ordres confisque les biens de ses sujets sans avoir à invoquer une loi, sans prendre la peine de rédiger un décret ; il lui suffit de dénoncer un danger ou le soupçon d’un danger. Le gouvernement de l’Espagne fut durant trois siècles un gouvernement de salut public qui n’avait d’autre règle que la raison d’état, à laquelle l’église, dont le prince se servait sous couleur de la servir, prêtait la sainte majesté d’une