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vaste développement s’inspirant en égale mesure d’mie vive liberté et d’une longue tradition de discipline intellectuelle et morale. Nulle part ne se voient mieux à découvert les vraies sources de la longue prospérité et de la grandeur de l’ancienne France. Dans aucun pays peut-être, en dépit de certaines apparences, les classes qui forment le gros de la nation, c’est-à-dire les bourgeois des villes et surtout les moyens propriétaires ruraux, n’ont été plus tôt et plus entièrement maîtresses d’elles-mêmes, entre les excès des nobles et la misère des plus humbles. A travers les guerres civiles et religieuses, dans le fracas des guerres étrangères, malgré beaucoup d’agitations et de fléaux, une population nombreuse a vécu silencieuse et assez paisible au fond de nos provinces, dans la solitude de nos petites villes, dans le secret de nos campagnes. Là s’est accumulé tout un héritage de modestes vertus qui, sans avoir l’éclat de certains grands traits des scènes plus retentissantes, a constitué sans doute dans la balance des destinées françaises l’appoint nécessaire pour que la somme des mérites et du bien l’emportât.

C’est à mettre en relief ces intéressans aspects de l’ancienne société française que M. Charles de Ribbe s’est appliqué, en invoquant toute une série de curieux documens trop négligés avant lui : les livres de raison. M. de Ribbe ne s’est pas borné à répandre une lumière à certains égards nouvelle sur le passé de nos institutions et de nos mœurs; il s’est épris de ce passé d’autant plus facilement que les institutions et les mœurs de notre époque lui inspirent des défiances, et qu’il craint pour notre prochain avenir. Il lui est arrivé ce qui est arrivé à bien d’autres : peu satisfait du présent, il s’est plu à retrouver dans le passé, même lointain, quelques-uns au moins des traits qu’il voudrait voir subsister de nos jours et auxquels s’attacherait, suivant lui, notre salut futur. On sait combien il est difficile, une fois engagé dans cette voie, de garder la mesure, de ne pas céder à la thèse préconçue, et de se préserver d’une vue partiale. Le patriotisme même et la curiosité d’esprit peuvent y devenir des pièges d’autant plus périlleux que l’auteur se sera montré plus sincère et plus loyal. M. de Ribbe se rattache à une école de publicistes très dignes d’une haute estime, animés d’un vif sentiment religieux, d’une idée morale très élevée, d’un patriotisme incontestable, qui s’alarment des voies nouvelles où la France s’est engagée depuis la fin du XVIIe siècle, mais surtout depuis la révolution, et qui croiraient, par la réforme de notre loi civile, nous rendre quelques-unes des heureuses énergies de notre moyen âge.

On pense bien qu’aux doctrines de cette école les réponses n’ont pas manqué. Tout un groupe d’économistes, de juristes, de moralistes libéraux, patriotes sincères eux aussi, s’est appliqué à réfuter cette vue du présent, ce panégyrique du passé, ces propositions de