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mais même l’exacte signification morale. Comment des paroles pourraient-elles par exemple faire deviner ce qu’il y a de saisissant, de véritablement funèbre dans l’aspect de cette maigre petite vieille (Madame veuve tout le monde) subissant les mépris publics sous ses pauvres habits de deuil et traînant par les rues où s’étalèrent les scandales de sa jeunesse sa détresse et sa décrépitude conspuées, — ou bien dans l’aspect de cet autre squelette vivant, de ce corps décharné le long duquel pendent quelques guenilles informes, se dressant, comme la personnification de la désolation et de la faim, en face d’une jeune mère qu’entourent deux beaux enfans, soutien et consolation futurs de sa vieillesse? Ailleurs, c’est sous les traits d’une ignoble pauvresse le spectre des premières amours d’un homme fait, dont cette apparition fortuite réveille les lointains souvenirs en même temps qu’elle épouvante les yeux; c’est une tireuse de cartes tristement accoudée sur la table où elle attend que quelques sols lui viennent en échange de la bonne aventure qu’elle « dit depuis qu’elle ne sait plus ce que c’est. » Enfin, c’est une abominable mégère aux cheveux ébouriffés, au visage et au corps hideusement flétris, ne reconnaissant plus dans ces débris d’elle-même que ces ongles faits pour la proie sur lesquels elle arrête ses regards méchans en se disant que « de la beauté du diable voilà tout ce qui lui reste,... des griffes ! »

Nous le répétons, la description la plus littérale de ces pièces n’en donnerait qu’une idée bien incomplète. L’influence que peuvent exercer sur l’esprit les types imaginés par Gavarni tient de si près à l’habileté technique dont il a fait preuve, chaque coup de crayon en accusant la verve dans l’exécution des détails accentue et confirme si bien le sens général de chaque figure ou de chaque scène, qu’on ne saurait isoler ici des formes choisies la pensée qu’elles traduisent sans courir le risque d’en affaiblir la vigueur. Les Lorettes vieillies, Bohèmes, les Petits mordent, quelques autres séries encore appartenant à la même époque sont de vrais chefs-d’œuvre dans leur genre, des créations puissantes malgré l’humilité des moyens matériels et l’exiguïté du format, mais des chefs-d’œuvre qui ne s’expliquent pas à distance et dont l’éloquence n’est tout à fait convaincante qu’à la condition d’agir pour ainsi dire à bout portant. Le mieux sera donc de ne les citer que pour les recommander à l’examen et de se fier à leur autorité propre, sans essayer d’y suppléer par des définitions forcément insuffisantes ou des commentaires au moins inutiles.

Aussi bien le nombre des lithographies publiées par Gavarni dans la seconde moitié de sa carrière ne permettrait pas plus à la critique de les mentionner toutes que d’en indiquer même en quelques mots