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lettres écrites à cette époque pour tout ce qui de près ou de loin ressemblerait à un « tripotage » ne peut laisser aucun doute sur la loyauté de ses intentions. Il est permis seulement de regretter que, l’échec une fois survenu, celui qui le subissait n’ait pas plus résolument travaillé à en abréger les suites, et que la gêne où une fausse spéculation l’avait mis se soit compliquée par sa faute d’autres embarras beaucoup moins dignes d’intérêt à tous égards. Lorsqu’on voit Gavarni, harcelé par ses créanciers, se préoccuper moins peut-être des moyens de les satisfaire que des expédiens à l’aide desquels il se procurera un travestissement pour un bal ou de quoi payer son écot dans quelque souper, lorsqu’on lit sur son journal ces mots inspirés par la détresse où il se trouve un jour de fête et par la contrariété presque enfantine qu’il en ressent : « misère en gants jaunes, noble misère d’artiste, vous voici encore au 1er janvier, » — il devient véritablement difficile de compatir à ces inquiétudes et de s’associer à ces doléances. Non, quoi qu’en dise Gavarni, cette « misère » n’est pas « noble, » elle n’a même rien d’apitoyant parce que, au lieu de nous rappeler l’énergie d’un caractère en lutte fière avec l’adversité, elle n’exprime que les fatigues sans combat et les privations impatiemment subies d’un esprit avide de jouissances; non, la dignité d’un artiste n’a que faire dans ces questions d’étiquette et de costume. Elle ne dépend pas à ce point des dehors, et nous la jugeons au contraire bien autrement compromise par ces élégances mensongères, par ces gants jaunes achetés à crédit, que par la franche et véridique indigence d’un Bernard Palissy enveloppant de grossiers a morceaux de drapeau » ses laborieuses mains que « la dureté de la besogne » avait meurtries.

C’est ce mélange de vanité mondaine et de capitulation avec les devoirs sérieux que le monde impose, avec les conditions régulières de la vie, c’est ce côté bohème du tempérament moral de Gavarni qui ôte à la pauvreté de l’artiste, comme à la fastueuse indigence qu’étalent quelques-uns de ses contemporains et aux plaintes qu’elle leur suggère, la sympathie et le respect. Rien de moins attendrissant que les démêlés de Balzac avec les gens d’affaires ou les marchands, lorsqu’au luxe dont il a réussi à s’entourer un instant succèdent pour lui le dénûment dans le présent et l’obligation d’engager l’avenir; rien de plus puéril au fond que ses récriminations contre la société française tout entière, contre l’ingrate nation qui lui refuse les millions dont il aurait besoin pour soutenu’ son rang de « maréchal de lettres. » Sans avoir précisément passé par les mêmes alternatives et surtout sans avoir aussi impérieusement articulé ses prétendus griefs, Gavarni n’est guère moins responsable de la gêne habituelle et des ennuis qui ont pesé sur son existence. Aussi, lorsque, déjà vieillis l’un et l’autre, le dessinateur et le romancier se