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justice. Pour soutenir un membre du çof, on ment, on porte de faux témoignages, on se parjure. Le çof de son côté n’abandonne jamais ses adhérens. Si l’un d’eux meurt pour la cause du çof, celui-ci adopte ses enfans, les nourrit, les entretient aux frais de la coterie. En toute occasion, l’associé est sûr du concours le plus actif de ses coassociés. Lorsqu’une tribu est en proie à la guerre civile, les çof envoient fréquemment des contingens armés pour soutenir leurs sociétaires respectifs. En tout cas, si le sort des armes force un parti à s’expatrier momentanément, il est sûr de trouver chez ses amis un accueil empressé.

Les çof s’étendent d’un village à un village, d’une tribu à une tribu, d’une confédération à une confédération, et même à toute la Kabylie. Cependant ces associations n’ont pas lieu indistinctement entre toutes les tribus ; il y a des groupes en dehors desquels le lien en question ne s’établit pas. D’ailleurs la solidarité dans toute l’étendue d’un groupe n’est pas à beaucoup près aussi complète qu’entre les çof d’une même tribu ou d’un même village. Les fonds nécessaires au çof sont fournis par des cotisations volontaires. Les chefs n’en rendent pas compte ; ce sont de véritables fonds secrets employés à nouer des intrigues, à corrompre des consciences, à préparer des trahisons, à négocier l’assassinat d’un ennemi dangereux. Les chefs du çof deviennent ainsi des espèces de petits souverains assez puissans, et il est singulier que jamais chef de çof n’ait réussi à former tige de royauté. On arrive à cette position par la bravoure, par l’habileté dans l’intrigue, par l’influence de la famille à laquelle on appartient, et aussi par la richesse. Un chef de çof est un personnage fort occupé, et ses dépenses sont très considérables. Toutes les affaires du pays aboutissent à lui, et c’est avec lui bien plus qu’avec les amin de village et de tribu qu’une politique habile devrait traiter. Beaucoup de chefs de çof font preuve d’une rare souplesse d’esprit et d’une vraie connaissance du cœur humain.

Le çof paraît avoir eu autrefois une importance plus grande encore que de nos jours, et avoir produit de grandes ligues s’étendant d’un bout à l’autre de la Barbarie, C’est là un fait analogue aux factions des blancs et des noirs dans les républiques italiennes, des Kayssi et des Yémani chez les Arabes de Palestine. Partout où l’état central n’a pas été assez fort pour garantir l’entière sécurité des personnes et des intérêts, de pareilles coteries sont inévitables. Il est possible que ces rôles puissans des Masinissa, des Syphax, des Jugurtha, se soient rattachés pour une part à des causes analogues, et qu’il faille envisager ces hommes célèbres comme des chefs de çof attachés tour à tour à la fortune des Romains ou des Carthaginois. Il n’est pas donné à tous les pays d’être des nations ;