Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hidalguie native, par le respect de soi-même et des autres. On sera tenté d’en inférer que ce qui manque à ce troupeau bien disposé, ce sont des bergers dignes de le conduire. Quiconque a visité la coronada villa s’est aperçu bien vite que Madrid n’est pas seulement une ville de luxe et de plaisirs, qu’elle est une ville d’intelligence et de fine culture, qu’il s’y trouve une élite très nombreuse d’esprits éclairés et libéraux, quelques-uns tout à fait supérieurs, d’une souplesse et d’une ouverture merveilleuses, informés de tout, également instruits des affaires de leur pays et de celles de l’étranger, aptes au gouvernement, et qui figureraient avec honneur dans tous les conseils de l’Europe. Que reste-t-il après cela sinon d’accuser les étoiles, de conclure que les Espagnols sont l’un des peuples les mieux doués et les meilleurs de l’Europe, mais que les destins les ont condamnés, et qu’il est faux que les nations aient toujours le gouvernement qu’elles méritent ?

C’est bien là l’intime pensée de cette élite d’hommes distingués dont nous venons de parler. Ils gémissent sur les misères de leur pays ; mais ils n’ont garde de le renier, ni de le mépriser ; ils ont pour lui des entrailles de miséricorde et de tendresse. — «  Vous voyez jusqu’où nous sommes tombés, nous écrivait l’un d’eux, et pourtant soyez sûr que, dans l’état d’abandonnement où nous sommes, notre ancienne vertu nous soutient encore, et qu’en tout autre pays, soumis à l’épreuve que nous traversons, il se commettrait plus d’excès et plus de crimes qu’ici. En définitive, les grands criminels sont rares parmi nous ; partout en Espagne, le bien est plus fort que le mal, et aucune société en Europe ne renferme plus d’élémens sains que la nôtre. » Ainsi parlent ces affligés, qui ne consentent point à désespérer de l’avenir. Ils ont la foi, ils opposent à l’épreuve présente les certitudes d’une invincible confiance ; ils s’écrieraient volontiers avec un de leurs poètes : a Dans cette funeste rencontre, je prendrai pour symbole le faucon, avec son chaperon et sa chaîne ; ce qui console mon infortune, c’est l’inscription mystérieuse que je lis sur son bandeau et qui dit : « Joyeux, à travers mes ténèbres, je vois déjà briller la pure lumière. »

 … Alegre espero

 Tras las tinieblas luz pura.

Quoiqu’il soit permis de beaucoup attribuer aux accidens fâcheux et au malheur des circonstances, nous aidons toujours à nos disgrâces, et nous répondons en quelque mesure de notre sort. S’il est en Espagne des politiques sans reproche, les partis ont tous quelque chose à se reprocher, aucun d’eux n’a un passé entièrement net ; mais au lieu de faire un examen rigoureux de leurs péchés, ils préfèrent s’accuser réciproquement, et, dans les réquisitoires passion-