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L’ESPAGNE POLITIQUE

première partie.

LE CARACTÈRE ESPAGNOL ET LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE

L’Espagne est pour l’étranger qui la visite aujourd’hui une terre fertile en étonnemens et en scandales. Il s’y est passé depuis quelques mois des choses fort étranges, qui pourraient faire croire que la société même y est en péril. Un gouvernement sans autorité, qui, s’agitant dans le vide, donnait moins des ordres que des conseils, et semblait prendre ses gestes pour des actions, — les principaux revenus publics taris dans leur source, la banqueroute presque inévitable, une guerre civile dont on ne prévoit pas le terme, d’éternels soulèvemens de cantons et de bourgades, qui s’érigent en états autonomes, d’opulentes cités en proie à des tribuns de hasard ou à des socialistes coupe-jarrets, des meurtres, des incendies, l’effrayante confusion de tous les pouvoirs, de tous les métiers et de toutes les idées, — ici des prêtres travestis en chefs de bande, qui font dérailler des trains, bâtonnent des alcades, fusillent leurs prisonniers et parfois détroussent les passans, là des soldats mutinés, chassant ou massacrant leurs chefs, ailleurs des aventuriers politiques en cape blanche, la plume au vent, promenant de lieu en lieu leur candidature perpétuelle, leurs grands airs de bravoure et une batterie de canons dont ils fortifient leur éloquence, — à Madrid, une assemblée où tout le monde, sauf les hommes de mérite, aspire à devenir ministre, des clubs d’énergumènes où l’on disserte, l’écume à la bouche, sur la propriété collective, sur les vertus du quart-état, et où l’on dresse des autels à la sainte indiscipline, — voilà le spectacle qu’a offert la Péninsule, et qui arrachait ce cri à un journa-