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se distingue par son tronc lisse, mais les jeunes arbres présentent des écailles, des anneaux que l’on croirait entrelacés par l’art du vannier. Des fougères et des lianes s’en échappent souvent, leur formant des chapiteaux fleuris. Sous ces palmetto-hammocks, les chasseurs campent agréablement, le sol étant un sable blanc et sec, et les feuilles protégeant mieux qu’aucune tente contre la pluie et la rosée.

Mme Stowe sait parler des fleurs, elle les aime avec exagération à en croire son étrange aveu que les fleurs d’Italie l’ont impressionnée plus que les galeries, les ruines et tous les chefs-d’œuvre de l’art. Ici elle est dans son élément : tout en vaquant à sa moisson de magnolias, elle se représente les everglades, ces milliers de petites îles plates semées sur un désert d’eau où des forêts entières éclatent à la fois en une blanche floraison, et les bois accessibles à ses pas ne lui suffisent plus ; elle nous grise des capiteux parfums de ses vergers d’orangers, de son jasmin du Cap, qu’elle appelle joliment « un camellia doué d’une âme, » et de cet autre jasmin jaune, l’Ariel des fleurs, qui s’élance, court, se suspend partout, se mêle à tous les feuillages qu’il semble prendre plaisir à déguiser, jusqu’à prêter au chêne vert ses touffes d’or qui rivalisent d’éclat avec le sparkleberry, l’arbuste à paillettes. N’allons pas croire cependant qu’on parvienne sans peine à la conquête, des plus belles parmi ces plantes dont un grand nombre sont encore innomées, n’allons pas tomber dans la même erreur qu’une charmante miss qui, haut perchée sur ses talons pointus, parée de tous les colifichets qui peuvent faire ressembler une fille d’Eve à quelque brillant oiseau des tropiques, s’écriait en s’appuyant avec découragement sur son bâton d’oranger que terminait une dent d’alligator : « Mais on appelle la Floride le pays des fleurs, je me demande où elles sont ! » Pour arriver aux fleurs, il faut s’enfoncer dans les bois, chaussé de grandes bottes en caoutchouc, et admirer à distance respectueuse, en attendant qu’on les draine, les swamps (marais) où la nature prend ses ébats comme une bacchante folle, mais magnifique, cachant dans des jongles inextricables de saules, d’érables, d’ormes, de cyprès, d’azalées, de lauriers-roses, peuplés d’oiseaux pareils à des gemmes, les plus malfaisans de tous les reptiles. L’art de l’horticulture domptera et dirigera sans doute avec le temps cette exubérance de végétation ; il y en a déjà des exemples à Saint-Augustin, le Newport de la Floride, où l’on se rassemble pour prendre des bains de mer avec les précautions voulues contre le voisinage des requins. Saint-Augustin est la ville la plus ancienne de ces parages ; elle s’élève au milieu de sables plats qu’encadrent à perte de vue des broussailles de toute sorte, parmi lesquelles domine le palmier nain (palmetto). Autrefois la ville entière n’était qu’un berceau d’orangers, mais en 1835 la gelée les a tous détruits, et on n’a jamais songé à les remplacer. Il en est de même sur plusieurs autres