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sa flamme ! Il est vrai qu’à cela Mlle Devriès pourrait répondre qu’elle n’a que faire du compliment, surtout à cette heure où son vœu le plus cher paraît être de quitter le théâtre.

On juge les arbres par leurs fruits, et probablement aussi les concours par leurs résultats. Or cette année, les bulletins du Conservatoire sont des moins consolans : pas de première médaille de solfège pour les hommes, pas de premier prix d’harmonie, pas de premier prix de fugue, pas de prix d’orgue. Ceci pour les concours à huis-clos ; dans les concours publics, pas de premier prix de chant pour les hommes, pas de prix d’opéra, pas de prix de tragédie, pas de premier prix de flûte, de basson, de cor, de trompette, pas de premier prix de piano pour les hommes ! Entrer à fond dans la discussion aujourd’hui, cela nous mènerait trop loin, le temps et l’espace nous manquent pour nous bien rendre compte et des côtés critiques du système et de l’affligeante médiocrité des hommes. Nous reviendrons à loisir sur ce sujet ; en attendant, ce qu’il faut constater, c’est que le niveau s’est encore abaissé au-dessous de ce qu’il était du temps d’Auber. Je plains sincèrement les directeurs de nos grandes scènes lyriques, trop chichement subventionnés désormais (du moins à ce qu’ils nous racontent) pour maintenir le régime des étoiles, et qui se voient réduits à fonder tout leur avenir sur les produits d’une institution nationale qui au demeurant ne produit plus rien. Pas un ténor d’opéra, pas une cantatrice ; en revanche, beaucoup de chanteuses légères, des petites voix en quantité. Il semble qu’on ne travaille que pour l’opérette, et qu’il n’y en ait que pour les filles de madame Angot ! N’importe, M. le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts se réjouit, et son contentement frise l’enthousiasme. Tout le monde a fait son devoir : directeur, professeur, élèves couronnés ou non, tous ont bien mérité de la patrie ; c’est si beau, ce qui se passe cette année à notre Conservatoire de la rue Bergère, que M. Batbie voudrait pouvoir aller le dire à l’exposition de Vienne ! Rhétorique officielle, que nous veux-tu, et qu’est-ce donc que la vérité des choses, si les plus désolans fiascos doivent maintenant compter pour des triomphes ? Au fond, ce que cela prouve, c’est qu’on se moque du public aussi bien que des jeunes élèves, et de pareilles harangues pourraient à merveille se résumer par ce vers légendaire du Roi s’amuse, dernier terme de la pensée intime du ministre actuel des beaux-arts :

Je m’en soucie autant qu’un poisson d’une pomme.