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crises de souveraineté. Si c’est là ce qu’on veut, il faut le dire simplement, sans diplomatie, sans arrière-pensée, comme des hommes sérieux qui traitent sérieusement des intérêts les plus essentiels de leur pays.

On préviendrait peut-être en parlant ainsi bien des méprises et des confusions facilement exploitées par tous les partis hostiles, et qu’on se préoccupe trop peu de dissiper. Que disons-nous ? Au lieu de s’efforcer de les dissiper, on les entretient, on les favorise, on laisse croire qu’il s’agit de la restauration d’une monarchie devant laquelle le pays doit s’incliner, à laquelle il n’a rien à demander, qu’il doit s’estimer trop heureux de recevoir comme la réalisation de l’état paternel et chrétien en France. — Des garanties ! Quelles garanties a-t-on à obtenir d’un pouvoir qui puise en lui-même tous ses droits ? Une constitution ! On n’a pas à s’en occuper, le roi fait la constitution. Et puis les chartes sont une invention moderne, il n’y a qu’à revenir aux lois fondamentales du royaume, à reprendre en le rectifiant le mouvement de la fin du dernier siècle, à défaire tout ce qui a été fait ou à peu près depuis 1788. Les lois traditionnelles, l’alliance de l’église et de l’état, la réaction contre l’esprit et les institutions modernes, voilà la monarchie dont on traçait le programme l’autre jour à Paray-le-Monial, dans une correspondance échangée entre cent députés légitimistes de l’assemblée et le pape Pie IX ! Ce qu’on entreprend, nous devons le dire tout de suite, est d’une exécution difficile même pour des hommes d’état d’un aussi puissant génie que les légitimistes « intransigeans » de l’assemblée de Versailles. Que M. le comte de Chambord, accoutumé à vivre dans le sentiment religieux de la royauté dont il est l’héritier, éloigné de la France depuis quarante-trois ans, puisse quelquefois se faire illusion et se méprendre sur le véritable état moral, religieux, politique, de notre pays, ce n’est pas étonnant ; on lui doit de l’éclairer, de lui dire que la France avec ses grandeurs et ses défauts n’est pas telle qu’on la lui représente. Telle qu’elle est, la vraie France vivante et palpitante, c’est la France moderne. Se fût-elle égarée depuis près d’un siècle, eût-elle cédé à des entraînemens qu’elle a d’ailleurs trop expiés, se laissât-elle aller à une superstition de cœur en tenant à un drapeau qu’elle a couvert de son sang, qu’elle a suivi avec passion dans la défaite comme dans la victoire, tout cela, c’est désormais sa vie, c’est son essence. C’est avec cela qu’il faut s’arranger et gouverner, si l’on veut rester dans la réalité des choses. Parlons franchement : prétendre ramener tout un pays en arrière, lui répéter chaque jour qu’il doit désavouer les idées qui lui ont été le plus chères et faire amende honorable d’une existence de près de quatre-vingts ans, c’est une arrogance que personne n’a le droit d’avoir, et dans tous les cas c’est une manière bien étrange de travailler au rétablissement de la monarchie que de la présenter comme une pénitence publique. Le meilleur moyen d’éclairer M. le