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La réforme électorale produira-t-elle les résultats qu’en attend le parti centraliste ? Il est très permis d’en douter. Dès le lendemain du jour où elle a pris force de loi, deux opinions se sont manifestées parmi les adversaires qui l’avaient combattue. D’après les uns, il faudrait opposer à la loi nouvelle une résistance passive, une abstention systématique ; d’après les, autres, on ne devrait pas déserter le terrain légal et constitutionnel. Tout en blâmant la réforme, on devrait tenir compte des faits accomplis, accepter franchement les luttes parlementaires, siéger avec résolution dans les diètes provinciales et au Reichsrath, essayer de prendre par des moyens corrects et pacifiques, par le jeu régulier des institutions, la revanche des récentes défaites que le parti fédéraliste a subies. C’est peut-être là en effet la manière de procéder la plus pratique. L’inaction n’est pas de l’habileté, et ce n’est pas se montrer digne de la victoire que déserter le champ de bataille. Les fédéralistes, fussent-ils même en minorité, seraient plus influens au sein du Reichsrath qu’en dehors de cette assemblée. En venant y remplir leur mandat, ne seraient-ils point en mesure d’y former ces groupes compactes qui acquièrent vite de l’importance dans le régime constitutionnel ? Cette idée paraît du reste devoir faire son chemin. On pense que, lors des élections d’après la nouvelle loi, toutes les nationalités, tous les partis, Tchèques, Polonais, Ruthènes, Slovènes, fédéralistes, cléricaux, féodaux, Allemands, libéraux de la veille et du lendemain, s’empresseront de prendre part au vote. Si cette prévision se réalise, les Allemands ou centralistes en viendront peut-être à regretter l’ancienne loi qui leur permettait d’être seuls dans la chambre des députés du Reichsrath et de mener les affaires avec 110 voix environ. Les fédéralistes vaincus ont d’ailleurs encore entre leurs mains bien des élémens d’influence qui leur permettent de reprendre la lutte. Leur parti a pour champions non-seulement les Slaves en général et les Tchèques en particulier, mais aussi les représentans de l’ancien régime, l’aristocratie territoriale et le clergé, qui voient actuellement leur action neutralisée au Reichsrath par le libéralisme et par la bourgeoisie.

D’autre part, ce qui fait la faiblesse des fédéralistes, c’est que jusqu’à ce jour ils n’ont pas établi d’entente entre les divers groupes dont leur parti se compose. Il n’y a pas assez de cohésion entre les différentes tribus de la grande famille slave. Lorsque le congrès panslaviste se réunit à Prague en 1848, les membres de cette assemblée ne parvinrent pas à se comprendre. Le dialecte des uns était inconnu aux autres, et il leur fallut se servir, dans les débats, de la langue allemande, familière à tous. On n’a point parlé jusqu’à présent d’un accord prochain entre les Tchèques de Bohême et les Polonais ou les Ruthènes de Galicie. On n’a point dit que les députés fédéralistes du Tyrol et de la Carniole aient concerté leur action avec les autres adversaires des centralistes.