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opéra et cantate, il a tout essayé. Son Œdipe, sa Mérope, son Oreste, relèvent du mythe comme la Phèdre de Racine. La Mort de César, Rome sauvée, le Triumvirat, Mahomet, l’Orphelin de la Chine, se rattachent à l’histoire, Zaïre, Adélaïde Du Guesclin, Alzire et Tancrède sont des pièces romantiques dans le goût du temps. Poète, il ne l’est ni par l’imagination ni par le cœur. Ce qui est beau simplement lui échappe, il ne comprend la nature qu’embellie par un agréable artifice, met Virgile ayant Homère, dont la renommée lui paraît un préjugé, place Racine et Guarini avant Sophocle, méconnaît Dante, renie Shakspeare. Il veut un Shakspeare qui ressemble à Corneille, comme il veut un Corneille qui ressemble à Racine, et c’est surtout par les belles sentences et les ingénieuses réflexions que l’auteur d’Hamlet et de Jules César le désarme. Que Voltaire ait beaucoup aimé l’humanité, j’y consens : là même est le plus beau de son histoire ; mais l’amour vrai, l’amour-passion, dirait Stendhal, l’a-t-il jamais ressenti ? Rousseau en ce point fut son maître. Ce que Voltaire a de noble, de sympathique, c’est son entraînement vers l’amitié, sa compassion pour toutes les souffrances. Quant aux femmes, il ne les a connues qu’en amateur, en philosophe. Froide imagination, sens éteints ; pour lui, Adrienne Lecouvreur et la Gaussin sont deux grâces avec lesquelles il a passé de doux momens, et la marquise du Châtelet est une muse, la muse de l’astronomie et des mathématiques ! Voyez plutôt son ironique indifférence lorsqu’il découvre la trahison de la divine Emilie. Deux ou trois jours après la mort de la marquise, il vient fouiller dans ses tiroirs, trouve un médaillon, présent emblématique des jours heureux. Il cherche sous la capsule un portrait ; à la place du sien, c’est celui de Saint-Lambert qu’il rencontre. Un amant véritable en serait mort ; Voltaire se venge par le persiflage. « Voilà bien comme elles sont toutes, s’écrie-t-il en joignant les mains ; j’avais chassé Richelieu, Saint-Lambert me chasse, un clou pousse l’autre, ainsi va le monde ! » Racine, également trompé par la Champmeslé, eut d’autres soupirs, d’autres retours :

……….. Heureux celui qui pleure !
Dieu visite le cœur dans sa peine abîmé,
Et qui ne sait pleurer n’a jamais rien aimé.

Otez ses larmes à Racine, adieu Bérénice, Monime et Junie ! Voltaire n’aimait pas les femmes, et, qu’on me passe l’expression, les femmes le lui ont rendu. Ses reines, ses jeunes premières reproduisent à satiété le type racinien ; Sémiramis est une Clytemnestre, Zaïre une Atalide ; ni couleur ni fantaisie dans ce tableau de l’Orient, nul parfum des roses de Saron, rien qui vous parle des