Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/881

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand je vous entends parler avec ce sérieux, ma poitrine se dilate comme si en sortant de mon boudoir parfumé je respirais les senteurs de la forêt.

Elle dit cela simplement avec une bonhomie affectueuse. Vladimir, pour la première fois, jeta sur elle un long regard. En partant il lui tendit la main ; mais qu’elle était froide, cette main, et dure, une vraie main de fer !...

La somnambule racontait sans chercher les mots ; cela coulait de source, mélodieusement, comme si elle eût récité une histoire apprise par cœur. Évidemment elle revivait toutes les scènes qu’elle décrivait, elle voyait tout, chaque trait, chaque geste, chaque mouvement, elle entendait les bruits et les voix.

Je fermai les yeux pour mieux écouter, et n’osai respirer.


IV.

A partir de ce jour, reprit-elle, Vladimir revint assez souvent. Pour lui, Olga se faisait simple, modeste, bon enfant ; elle le laissait parler, le questionnait quelquefois, ne détachait pas de lui ses regards. Sa toilette était toujours d’une simplicité de bon goût : une robe de soie montante, de couleur sombre, avec un petit collet blanc. Ses beaux cheveux, relevés en torsades, encadraient sa tête comme un large diadème. Tandis que les autres briguaient l’honneur de boire dans son soulier, elle comblait Vladimir de petites attentions ; on eût dit qu’elle lui faisait la cour. Une fois il avait fait une sortie contre l’usage des corsets. Le lendemain, Olga se montra dans une ample kazabaïka en velours bleu, garnie de martre. Comme il lui en fit compliment, elle répondit qu’elle ne porterait plus de corset.

― Et pourquoi cela ?

― Mais n’avez-vous pas dit que cela ne nous vaut rien ?

Vladimir comprit enfin qu’elle en voulait à son repos ; il ne s’en montra que plus réservé, évita de se trouver seul avec elle et se lia davantage avec le mari. Un soir, on causait d’une femme de sa société pour laquelle un jeune officier venait de se faire tuer en duel. ― Chez ces coquettes, dit Mihaël, le sentiment de l’honneur n’existe donc pas ?

― Hélas ! repartit Vladimir, l’honneur d’une coquette se juge comme celui d’un conquérant : il dépend du succès. Mais les hommes qui se respectent sont à l’abri de ces femmes, leur pouvoir ne s’étend que sur les sots et les niais, comme les chats qui n’ont pas de gibier plus noble à leur portée attrapent des souris et