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s’approcha et étendit la main pour le prendre. Comme je reculai effrayé, elle eut un sourire. ― Il n’y a pas de danger, dit-elle ; Olga y voit très bien. ― Puis, impatientée de mon hésitation et fronçant les sourcils, d’un mouvement brusque elle m’arracha l’arme, mit le chien au repos, et déposa le fusil dans le coin où je l’avais pris. Je respirai.

― Il ne faut pas qu’il pense du mal de la pauvre Olga, reprit-elle en regardant de nouveau l’astre qui la baignait de ses rayons. Je l’en supplie, ajouta-t-elle d’une voix triste, et elle se mit à genoux. Il promettra de n’en parler à personne, pas même à Olga... elle en mourrait de honte.

― A personne ! répondis-je très ému.

Je me penchai pour la relever ; elle secoua la tête, puis, la laissant retomber sur la poitrine : ― Il faut qu’il sache tout maintenant, murmura-t-elle ; mais il me jurera de ne rien révéler. Y consent-il ?

― Oui, répondis-je.

A ce moment, le chien sortit de sa retraite, la flaira et poussa un aboiement sourd en montrant les dents. Elle se pencha et se mit à le caresser ; il se retira sous le lit tout tremblant. ― Il le faut, reprit-elle en soupirant, je ne puis me taire. ― Elle avait croisé les bras sur la poitrine dans l’attitude humble d’une pénitente. ― Il me comprendra, poursuivit-elle d’un ton confidentiel pendant qu’un frisson parcourut mes membres. Il ne sera pas question de crimes : Olga n’a voulu faire de mal à personne ; l’histoire qu’elle va raconter est bien triste, voilà tout...

Je vois à travers les choses, rien ne m’est caché ; je lis au fond des âmes. Olga elle-même m’apparaît comme une personne étrangère, pour laquelle je n’éprouve ni haine ni amour. ― Elle eut un sourire plein de mélancolie. ― La voici toute petite encore. C’est une enfant gracieuse, avec ses bras ronds brunis par le soleil, ses boucles noires, ses grands yeux qui vous interrogent. Ivan, le vieux valet de ferme, ne passe jamais sans la prendre sur son bras pour la caresser. Un jour, debout sur le perron, elle entend par la fenêtre ouverte sa mère qui cause avec un visiteur, un jeune propriétaire des environs, fort élégant et bien vu des femmes. « Elle est vraiment jolie, la petite, disait le jeune homme ; elle fera tourner toutes les têtes. » Olga comprit qu’il était question d’elle. Rouge de plaisir, elle s’enfuit dans le jardin, cueillit des fleurs qu’elle piqua dans ses cheveux, et alla se mirer dans l’eau d’un petit bassin, se promettant de ne pas faire mentir le prophète. Les soirs d’hiver, entre chien et loup, on se groupait autour du grand poêle vert, et la bonne nourrice Kaïetanovna faisait des contes, enfoncée dans le vieux fauteuil noir où les enfants avaient vu mourir