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se jette dans la Seine auprès de Rouen, fait marcher 104 usines : elle produit une force utile de 1,083 chevaux-vapeur; à supposer que l’on voulût remplacer par des machines à vapeur les moteurs hydrauliques de la vallée du Cailly, il en coûterait 500,000 fr. par an pour le moins, et cependant cette rivière n’a ni plus d’eau ni plus de hauteur de chute que les rivières qui débouchent du Morvan.


IV.

Les cultivateurs, peut-être plus encore que les industriels, trouveraient leur profit dans cet aménagement artificiel d’eaux courantes aujourd’hui dépensées en pure perte. Un savant dont les travaux sur la chimie agricole sont bien connus, M. Dehérain[1], démontre clairement que la fertilité ou la stérilité d’un sol n’a rien d’absolu, qu’en dehors de la composition chimique il faut tenir compte des conditions de climat et d’arrosement. Qu’est-ce que ce mélange de sable, d’argile, de calcaire et de débris organiques sur lequel se développent les végétaux et que l’on appelle la terre arable ? Tantôt ce sont des alluvions semblables à celles qui se forment encore chaque jour à l’embouchure des fleuves, ce sont des graviers et des limons entraînés par les eaux. On trouve de ces alluvions dans le bassin de la Seine au fond de presque toutes les vallées. Si la rivière a peu de pente, le dépôt s’étale sur une vaste surface; cette disposition se présente dans les couches molles du terrain crétacé inférieur, où se rencontrent les plaines alluviales de Saint-Florentin sur l’Yonne, de Vaudes sur la Seine, de Brienne sur l’Aube, de Vitry-le-Français sur la Marne. Lorsque les eaux sont limpides et n’éprouvent pas de crues violentes, c’est de la tourbe et non plus du gravier qui se dépose. On en trouve au fond de presque toutes les vallées de la Champagne. Au contraire, dans un bassin à crues torrentielles, le terrain se creuse et se ravine de plus en plus. Les cours d’eau travaillent donc sans cesse, quoiqu’avec une lenteur infinie, à modifier la forme et l’étendue des vallées qu’ils parcourent. C’est surtout sensible quand l’homme s’avise parfois de changer le lit qu’une rivière s’est creusé avec le temps. M. Belgrand en cite un exemple curieux. L’Armançon, cours d’eau torrentiel, avait pris une allure à peu près régulière; en certains lieux, on a détruit les plantations qui garnissaient les berges, sous prétexte d’élargir les rives et de donner plus d’écoulement aux eaux; ailleurs, pour faire place au chemin de fer de Paris à Lyon, on a supprimé les sinuosités de la rivière. Celle-ci, troublée dans son cours, s’est

  1. Voyez le Cours de chimie agricole, par M. Dehérain, et notamment les chapitres sur la nature de la terre arable.