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femmes elles-mêmes avaient si vaillamment défendue, et pendant deux jours il la cribla de boulets pour l’anéantir, faute de pouvoir la prendre.

Quand on compare le siège de 1536 à celui de 1870, on est frappé de l’analogie qu’ils présentent entre eux, et l’on reconnaît que les procédés militaires des Allemands n’ont point changé. En 1536, ils tirent dans un seul jour 1,800 coups de canon sur les maisons pour les réduire en poudre, ils mettent toute leur force dans leur artillerie et se montrent même sous ce rapport plus prévoyans que Goeben, car celui-ci n’avait envoyé au début des opérations que cinquante-quatre pièces de campagne, et le comte de Nassau en avait amené soixante-douze, du plus fort calibre qu’il pût trouver. L’instinct de destruction des propriétés privées est le même aux deux époques ; seulement Nassau n’a pas craint de tenter contre la ville trois attaques de vive force, et Goeben s’est contenté de la brûler.

Péronne, que l’on surnommait la dévote[1], joua un grand rôle dans les événemens de la fin du XVIe siècle. Le 6 mai 1576, un traité de paix avait été signé à Chartenoy en Bretagne entre le duc d’Alençon, Henri de Navarre, le prince de Condé, chef du parti protestant, et la reine Catherine de Médicis, agissant au nom du parti catholique. En vertu de ce traité, le prince de Condé était nommé gouverneur de la Picardie, et recevait Péronne pour place de sûreté ; mais cette ville était commandée par un catholique fervent, Jacques d’Humières. Celui-ci, craignant d’être destitué par le prince de Condé, résolut de l’écarter de la province ; il forma une association à laquelle il donna pour prétexte la défense de l’orthodoxie, et mit le royaume en feu pour conserver son titre et les profits qu’il en tirait, comme d’autres l’ont fait pour rester au pouvoir ; c’est de là qu’est sortie la ligue. Pendant la minorité de Louis XIV, Péronne et les environs furent le théâtre des derniers efforts de la fronde : Turenne et Condé y manœuvrèrent avec quelques mille hommes, mais sans en venir aux mains, parce que les troupes royales s’étaient retranchées dans une position très forte. Le vainqueur de Rocroy n’osa point les attaquer, et pour donner quelque occupation à ses Espagnols, il fit brûler, — ce que n’a pas dit Bossuet dans son oraison funèbre, — le village et l’église de Manancourt. A dater de cette époque jusqu’à notre temps même, l’histoire de Péronne, dans ses rapports avec l’histoire générale, ne présente que deux faits qui méritent d’être mentionnés. Au moment du retour de l’île d’Elbe, le gouvernement de la restauration

  1. On pouvait justement lui donner ce nom, car, si peu nombreuse que fût sa population, elle n’avait pas moins de cinq églises paroissiales, trois couvens d’hommes et quatre couvens de femmes.