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contemporain, fut appliqué tout de suite,… on remplit les prisons de ces hérétiques, et le monstre fut étranglé dans son berceau. »

Soixante ans plus tard, c’était non plus contre les hérétiques, c’était contre les religieux de l’abbaye de Moreuil que les juges de Montdidier avaient à sévir. Ces religieux avaient fait comme l’abbé qui enleva au petit Jehan de Saintré le cœur de la Dame des belles cousines. Ils tenaient table ouverte, contractaient de grosses dettes qu’ils ne payaient pas, et, quand ils furent à bout de ressources, ils vendirent les cercueils de plomb de leurs bienfaiteurs, les seigneurs de Moreuil, qui reposaient dans leur église. Un arrêt de 1711 les expulsa de l’abbaye. L’abbé fut condamné à quatre ans de prison, et l’un des religieux aux galères à perpétuité. C’est là du reste, dans l’histoire des abbayes de la Picardie au XVIIIe siècle, un fait tout à fait exceptionnel. Les bénédictins de Corbie restèrent fidèles jusqu’au moment de la suppression des ordres monastiques aux traditions sévères d’un passé qui remontait aux temps mérovingiens. Fondée en 657 par la reine Bathilde, l’abbaye de Corbie fut l’un des principaux centres intellectuels de la Gaule franque. De 826 à 833, elle fut gouvernée par Wala, neveu de Charlemagne, et quelques années après par l’un des écrivains les plus célèbres du IXe siècle, Paschase Radbert, qui aurait, dit-on, proclamé le premier le dogme de la présence réelle. Située dans une ville frontière qui défendait l’un des passages de la Somme, cette abbaye eut grandement à souffrir des invasions. Elle fut rebâtie après le fameux siège de 1636. De cette reconstruction, il ne reste aujourd’hui que fort peu de chose, et la crypte de l’église que l’on fait remonter au IXe siècle, c’est-à-dire à l’époque de Wala, est le dernier débris de l’un des monastères les plus célèbres de l’ancienne monarchie. A partir de Corbie et de Villers-Bretonneux, on entre dans la subdivision de la Picardie connue sous le nom de Santerre ou Santois (Sanctcriensis Ager). Cette subdivision comprend la partie sud de l’arrondissement d’Amiens, quelques enclaves de l’arrondissement de Montdidier et l’arrondissement de Péronne. Avant de pousser plus loin notre excursion, nous allons donner quelques détails sur une coutume particulière à cette région de la Picardie, coutume dont l’existence n’est pas même soupçonnée dans le reste de la France, et qui rappelle par certains côtés les violences du banditisme corse.

Deux constitutions de l’empereur Zénon promulguées au IVe siècle nous apprennent qu’il existait-dans l’empire romain des fermiers qui à l’expiration de leurs baux s’obstinaient à ne point quitter les terres qu’ils avaient prises à louage, nomine conductionis, et que d’autres se vengeaient d’avoir été dépossédés en molestant