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Ce qui a été dit en commençant sur les propriétés absorbantes de chaque couche géologique peut faire prévoir si les sources y sont rares ou nombreuses, faibles ou abondantes. Les terrains imperméables, tels que le granit du Morvan, le lias de l’Auxois, les argiles de la Champagne, les marnes de la Brie et du Gâtinais, se ressemblent assez sous ce rapport, sauf les différences dues à des circonstances particulières. Les ravins du Morvan conservent en toute saison de petits filets d’eau qui suffisent à une population clair-semée; les villes même petites sont mal approvisionnées. Dans le pays plat de l’Auxois, les rivières tarissent, les puits sont mauvais; les moindres hameaux éprouvent une disette d’eau chaque été. Les habitans de la Brie, à défaut d’eaux courantes, en trouvent à une petite profondeur au-dessous du sol; ailleurs, on conserve les eaux pluviales dans des citernes, ou plus économiquement dans des mares que la nature argileuse du sol permet de rendre étanches à bon marché. La Champagne crayeuse et les terrains jurassiques nous présentent des plateaux arides où l’on voit à peine çà et là quelque habitation isolée[1]; les villes sont bâties au bord des rivières et dans les vallées principales, car les vallées secondaires, aussi bien que les plateaux, sont à sec. Les terres élevées perdent donc beaucoup de leur valeur; les lieux habités en sont trop distans. Cependant, quand ce sont des plaines fertiles, comme la Beauce, le Soissonnais, les cultivateurs s’y établissent et suppléent tant bien que mal aux eaux courantes par des puits profonds ou par des citernes. Tout cela se peint sur une carte détaillée, sur celle de l’état-major par exemple. Il est facile d’y reconnaître, d’après la disposition des villages, si la contrée est bien ou mal arrogée. Ici de vastes espaces sont dépourvus d’habitations, et les maisons sont alignées le long des cours d’eau; ailleurs, les hameaux sont essaimes sur toute la surface du pays. Il y aurait bien un remède à cette fâcheuse disposition de la nature : ce serait d’amener de loin les eaux de sources par des aqueducs ou d’élever les eaux de rivières et de les distribuer par des canaux sur les parties du territoire qui en sont privées; mais la dépense d’une telle irrigation serait le plus souvent considérable. Les grandes villes y ont recours quelquefois. La riche banlieue de Paris, qui en retirerait de grands profits, n’a pas encore été dotée de travaux de cette sorte.

L’abondance des sources n’est pas le seul élément à considérer; la qualité de l’eau qu’elles fournissent n’est pas moins importante. Qu’un ruisseau soit alimenté par un terrain tourbeux, qu’il reçoive les déjections d’une usine, c’en est assez pour qu’il devienne im-

  1. M. Belgrand fait observer avec raison que ces habitations, construites à distance des sources, portent des noms caractéristiques; elles s’appellent souvent la Belle idée, la Folie, etc.