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Berlin, il y eut des agitations dans tous les sens, un vrai tourbillon de colères. L’Autriche trouvait que le roi de Prusse avait trop laissé entrevoir au parlement certaines possibilités de s’entendre : de là les notes irritées du prince de Schwarzenberg, déclarant que le parlement de Francfort avait agi sans droit, que ses actes étaient nuls et de nul effet. Le parlement de Francfort, menacé par l’Autriche, accusait le roi de Prusse d’avoir répondu par des équivoques à la plus haute marque de confiance ; on devine quelles paroles injurieuses faisaient explosion de toutes parts, les plus modérés criaient à la trahison. Enfin à Berlin la seconde chambre fut le théâtre des scènes les plus violentes. Elue par le suffrage universel, suivant la charte octroyée le 5 décembre par Frédéric-Guillaume IV, cette chambre contenait des élémens démagogiques très compactes, tandis que le parti de l’ordre se fractionnait en groupes nombreux. Il y avait l’extrême droite, dont l’orateur, M. de Bismarck, a suivi depuis ce temps-là des voies si différentes, — la droite des politiques, dirigée par MM. de Bodelschwing et d’Arnim, — la droite dissidente, sous le commandement de M. de Wincke, — puis le centre droit, le centre pur, le centre gauche. La gauche et l’extrême gauche avaient un tiers des voix, et cette minorité redoutable devenait parfois une majorité. L’occasion parut bonne aux meneurs des partis violens. L’un d’eux, M. Rodbertus, essaya de faire consacrer par la chambre la constitution du futur empire, telle que le parlement de Francfort l’avait votée. Assurément M. Rodbertus et ses amis ne tenaient guère à cette constitution ; ils tenaient surtout à l’unité allemande comme à un moyen de renverser l’empire. Telle était cependant l’ivresse des esprits au sujet de l’unité que l’hypocrisie de cette manœuvre ne l’empêcha point de réussir. La proposition Rodbertus contenait trois articles distincts : les deux premiers blâmaient la politique du ministère dans la question de l’unité, et condamnaient toute espèce de pacte formé entre les souverains comme contraire aux vœux et aux espérances du pays ; le troisième ordonnait au ministère de reconnaître la constitution de Francfort, telle qu’elle avait été faite après la seconde lecture, et de n’en poursuivre la révision que par les moyens indiqués dans la constitution même. Les deux premiers articles furent rejetés ; le troisième obtint une majorité de 16 voix. C’était un ordre au roi de Prusse d’accepter la couronne impériale. Le parlement de Francfort l’avait offerte, la chambre des députés de Berlin commandait de la recevoir !

On voit que la situation était bien changée depuis le jour où le sentiment prussien se révoltait à l’idée que la Prusse fût obligée de disparaître au sein de l’Allemagne ! On était froid alors pour la