Pourquoi donc a-t-il résisté si longtemps, et pourquoi sans transition a-t-il si brusquement cédé ? » Personne ne répondit. Le conseiller mandé par le roi paraissait fort décontenancé ; M. de Bunsen, un peu étonné de sa victoire, s’empressa de sortir pour l’annoncer à ses amis.
M. Léopold de Ranke fait allusion à cette curieuse scène et s’efforce d’en atténuer l’impression en ce qui concerne le caractère du roi. Il ne trouve là de bizarre que l’apparence ; au fond, le roi était fidèle à sa foi politique lorsqu’il ne se décidait qu’à la dernière extrémité à s’occuper sans l’Autriche des propositions de Francfort. Cette brusquerie soudaine supposait de longues délibérations intérieures ; Frédéric-Guillaume IV savait parfaitement d’avance à quel instant précis il lui serait possible de céder. On sent que M. de Ranke, historien presque officiel, se croit obligé ici de justifier Frédéric-Guillaume IV. Il eût mieux valu, ce me semble, au lieu de dissimuler les tergiversations du roi, les mettre en pleine lumière et montrer qu’elles furent toujours dominées par la rigueur persistante de ses principes.
Tel est en effet le caractère de Frédéric-Guillaume IV. Bunsen a cru être vainqueur dans la journée du 19 janvier 1849 ; quelques jours après, le roi se ravise et déclare une fois pour toutes qu’il ne fera rien sans l’Autriche. À juger ces choses-là du dehors, on a beau jeu pour accuser les contradictions du roi de Prusse ; nous l’avons fait nous-même en toute franchise alors que nous assistions de loin, spectateur désintéressé, aux débats du parlement de Francfort. Il y a de cela vingt-quatre ans ; aujourd’hui que des documens nouveaux nous permettent de pénétrer dans l’âme de Frédéric-Guillaume IV, ce ne sont plus ses hésitations qui nous frappent, c’est plutôt l’inflexibilité de sa foi. Il y a là un spectacle qui ne manque pas de grandeur. Oui certes, il est dévoué à la cause de l’unité germanique, il rêve pour la Prusse un accroissement de puissance, il a promis à son peuple insurgé qu’il serait le roi allemand, et il se rappelle que cette parole a suffi pour apaiser la tempête ; eh bien ! malgré tant de causes d’ivresse, sa conscience morale est plus forte que son ambition. Quelle différence entre Frédéric II par exemple et le juste, le scrupuleux Frédéric-Guillaume IV ! Comment ne pas se rappeler ici cette noble Astrée que M. de Bunsen évoquait avec grâce aux beaux jours de la jeunesse du prince ? Toute injustice le révolte ; plus il se passionne pour l’unité allemande, plus il lui répugnerait de la déshonorer par des procédés révolutionnaires. Si la révolution est partout, si elle reprend et aggrave certaines iniquités de l’ancien régime, par exemple l’esprit d’usurpation et de conquête, lui du moins, il